mercredi, février 28, 2007

A PROPOS DES ETATS-UNIS FRANCOPHONES

A propos des NEUF (Nouveaux Etats-Unis Francophones) je propose comme acte fondateur la répudiation solennelle du colonialisme, et que la réparation ne soit pas seulement symbolique mais matérielle. La compensation financière accordée (en priorité aux jeunes) permettrait de concrétiser une nouvelle solidarité entre ex-colonisés et ex-colonisateurs. Ainsi entrerions-nous tous ensemble sur un pied d'égalité dans le 21e siècle, en créant une citoyenneté commune francophone à dimension mondiale. De même je propose qu'à cette occasion, et en guise de préambule à l'acte fondateur, le racisme et l'antisémitisme soient solennellement mis hors la loi au sein de cette Confédération multi-raciale. Concernant la grande Conférence sur le Proche-Orient une démarche identique me paraît nécessaire, à savoir qu'elle devrait s'ouvrir par une répudiation également solennelle du colonialisme illustré par l'inique Traité de San Rémo qui fut imposé aux peuples de la région en 1920 sans aucune consultation démocratique.
Gabriel Enkiri, candidat au 1er tour de la Présidentielle.

samedi, février 24, 2007

GABRIEL ENKIRI MENACÉ !

Après la publication de mon communiqué de "pré-campagne", j'ai reçu le "message" suivant sur mon ordinateur. Je savais que mon analyse sur le "génocide des juifs" était particulièrement percutante et convaincante et que l'on se garderait bien d'y répondre autrement que par le silence... ou l'insulte... ou la menace ! Le temps a fait son oeuvre, et aujourd'hui le "mystère" s'est dissipé. Les historiens doivent se remettre au travail !

Monsieur,
Les propos ignobles que vous tenez sur Israël et sur le peuple juif méritent une sévère réaction... Vos "analyses historiques" ne sont en fait qu'un ramassis de mensonges haineux, de contre-vérités historiques, et de manipulations diverses. Vos propos sont dignes du Mein Kampf d'un auteur que vous admirez sans doute. Nous vous combattrons Monsieur et vous empêcherons vous et vos amis de réouvrir les chambres à gaz.
La vérité triomphera contre les néo-nazis que vous êtes.
Nos amis commencent sur le champs la campagne pour vos NON signatures ! Vous aurez de nos nouvelles.
Vous êtes une injure à la dignité humaine !!!

vendredi, février 23, 2007

COMMUNIQUÉ DE PRÉ-CAMPAGNE




A l'heure où débute la course officielle aux parrainages, je tiens à rappeler que je souhaite la candidature de Jacques Chirac, et que j'attends par conséquent de connaître sa décision avant d'annoncer la mienne. Si Jacques Chirac se représente, je me rallierai bien entendu à son « comité de soutien ». S'il renonce à être candidat, il me restera deux solutions : soit je décide de me rallier à un (ou une) candidat, ou je lancerai un appel aux Maires de France pour qu'ils m'accordent leur parrainage. Peut-être y en aura-t-il 500 qui auront à cœoeur d'affirmer leur indépendance d'esprit ?

Je rappelle les objectifs majeurs d'une programmation que je souhaite voir adopter par un candidat en mesure d'être élu, étant donné que ma candidature, au 1er tour, n'a pas d'autre but que de les faire connaître.

1) Une grande Conférence internationale – que j'appelle la Conférence du Siècle – qui pourrait se tenir à Beyrouth, ou à défaut à Genève, afin d'enrayer l'engrenage qui nous conduit inexorablement à une nouvelle guerre mondiale, laquelle a déjà commencé au Proche-Orient. L'instauration d'une paix « juste et durable » dans la région ouvrant la voie à la création d'un Marché Commun Méditerranéen (MCM).

2) Fondation de Nouveaux Etats-Unis Francophone (NEUF) avec le Québec, la Wallonie, les DOM-TOM, et la Corse, si les Corses expriment, au moyen d'un referendum, le souhait de rejoindre la Confédération d'Etats souverains qui donnera naissance à une citoyenneté mondiale d'expression française.

3) Création d'une Confédération européenne, prioritairement autour du couple franco-allemand.

4) Sur le plan intérieur organisation d'une grande consultation sociale (un super-Grenelle) entre le Medef, les syndicats et le gouvernement afin d'établir un Nouveau Contrat Social dont l'acte fondateur sera l'abolition du chômage par la création d'un revenu minimum vital pérenne qui fera disparaître à tout jamais le « chômeur » de la vie économique et sociale.

5) Fondation en Seine Saint-Denis (le fameux 9-3 !) d'un grand club omnisports, basé au Stade de France, dénommé COP (Club Olympique Physique), dont les membres, adhérents et supporteurs seront des COPAINS, conjointement avec une Cité internationale francophone sur le modèle d'une Exposition Universelle (Cité Jules Verne) et une Université francophone, qui feront de ce département à majorité immigrée l'épicentre de la Francophonie.

6) Transformation des conseils de prud'hommes en véritable Cour de Justice Sociale chargée d'arbitrer tous les conflits sociaux, tant individuels que collectifs.

Il va de soi que, pour moi, il sera plus facile de réaliser ces objectifs majeurs, et déterminants pour notre avenir, si Jacques Chirac reste encore quelque temps à l'Elysée, avec Dominique de Villepin au Quai d'Orsay et Jean-Louis Borloo à Matignon. C'est ce que j'ai indiqué, avec insistance, à Jacques Chirac et à Claude Chirac, dans un courrier que je leur ai adressé récemment.

Paris, le 22 février 2007

mercredi, février 21, 2007

mardi, février 20, 2007

AUTO-INTERVIEW DE GABRIEL ENKIRI




UN DOCUMENT EXCEPTIONNEL SUR LA VIE POLITIQUE FRANÇAISE...
DEPUIS 1939 JUSQU'A NOS JOURS !

ENKIRI, Gabriel

Observateur de la vie politique, gaulliste puis communiste (jusqu'en 1956)

Auteur récemment de "Israël, un projet funeste", format poche (11x17) 164 pages, éditeur : Alif
Distributeurs : Librairies Al Ghazali (29, rue Moret 75011 Paris), Librairie de l'Orient (18, rue des Fossés-Saint-Bernard 75005 Paris), près de l'IMA (en vente également à l'IMA, dans les Fnac, et sur Amazon, Alapage etc.).

Gabriel Enkiri vient de publier une analyse sur le "génocide des juifs" que le site RJLiban reprend intégralement. Vous pouvez le consulter ici : http://www.rjliban.com/

CE TEXTE A ÉTÉ PUBLIÉ PAR JEAN ROBIN SUR SON SITE TATAMIS SOUS LA FORME D'UNE AUTO-INTERVIEW.
DEPUIS, JEAN ROBIN A PUBLIÉ DEUX OUVRAGES "ILS ONT TUÉ LA TÉLÉ PUBLIQUE" ET "JUDEOMANIA" AUX ÉDITIONS TATAMIS , UNE MAISON D'ÉDITION QU'IL VIENT DE CRÉER.
AYANT ÉTÉ CONTRAINT DE FERMER SON SITE, JE LE RÉCUPÈRE SUR MON BLOG. JE REMERCIE JEAN ROBIN DE M'AVOIR DONNÉ LA PAROLE ET SOUHAITE BONNE CHANCE A SA JEUNE MAISON D'ÉDITION !













L'AUTO-INTERVIEW


de Gabriel Enkiri

Gabriel Enkiri - Pourquoi croyez-vous avoir - à un moment donné - "raté votre vie" alors qu'elle avait si bien commencé ?

Réponse - En vieillissant, alors que l'heure du "grand départ" se rapproche à vive allure, je me pose cette question quasiment tous les jours ! Etait-il possible de faire autrement ? De vivre une autre vie en somme ? D'être un autre... Je ne le pense pas : chaque être appartient à son temps, et plus il s'engage dans ce temps, plus il lui colle à la peau. J'ai réellement l'impression d'être une "créature" du XXe siècle, inséparable, témoin et acteur : je ne pouvais être que moi-même...

Gabriel Enkiri - Si je vous comprends bien, vous n'agiriez pas autrement, vous referiez le même chemin !

Réponse - Oui, à cette différence près : que j'aimerais, à quinze ans, savoir ce que la vie m'a appris, jusqu'à ce jour ! Il me semble que je regarderais autour de moi, les êtres et les choses, avec un certain sourire. Mais il faut que je vous l'avoue : j'ai toujours eu ce sourire aux lèvres qui avait le don d'agacer mes professeurs au lycée, à Lorient. Ils se demandaient, les pauvres, si je me moquais d'eux. N'était-ce pas tout simplement une certaine prescience de ce qui m'attendait ? Une preuve de lucidité en somme, le refus d'être dupe...

Gabriel Enkiri - Un jour Paul-Marie de la Gorce, un type qui ne manquait pas d'humour, vous a dit, au cours d'un déjeuner fort sympathique :" Vous avez commis deux erreurs dans votre vie : vous avez adhéré au PC, 1ère erreur, et vous l'avez quitté, 2ème erreur !". Bien sûr, c'était une boutade. Mais que vous inspire-t-elle ?

Réponse - Je lui en ai voulu sur le coup. J'avais là devant moi un journaliste connu, une vedette des medias, que mon parcours politique amusait visiblement. Sans doute étais-je vexé d'être un objet de divertissement. Et puis, très vite, j'ai apprécié sa réflexion en apparence idiote, je me suis retrouvé dans cet humour, sans doute cousin de l'humour anglo-saxon.

Gabriel Enkiri - Cet engagement communiste vous a marqué profondément. Vous y avez cru, vous aviez vingt ans, n'est-ce pas ?

Réponse - Oui, bien sûr, mais je m'en suis rapidement dégagé, et par la lutte, et par le combat. Je travaillais alors en usine, à la SNECMA, à Paris, dans le 13e arrdt, face au vieux stade Charlety. Ce sont les ouvriers de l'atelier, le fameux hall du rez-de-chaussée où le Ministre de l'Air de l'époque, Charles Tillon, venait faire ses discours, qui m'ont aidé à "sortir" du PC. Je n'ai eu aucun problème de conscience, alors que dans les cellules "bourgeoises" les membres du parti avaient l'impression de "trahir" lorsqu'ils étaient exclus ou démissionnaires... Moi, je savais que le parti n'était pas le "parti de la classe ouvrière".

Gabriel Enkiri - Après le PC, vous avez rejoint la Nouvelle Gauche en 1956, l'année du grand tournant, et vous avez "fréquenté" les grands leaders de la gauche non-communiste, les Rocard, les Martinet, les Bourdet, et tous ces militants trotskistes "révolutionnaires" du camarade Lambert... Comment les "regardez-vous" aujourd'hui ?

Réponse - C'était la fin, et nous ne le savions pas. Voilà pourquoi je suis toujours resté à l'écart, sur la touche, bien que l'on eût fait de moi une sorte de "héros de la classe ouvrière"' ! J'étais la "classe ouvrière" marchant vers le socialisme et la révolution. Dans ma cellule bourgeoise du PC, dans le 17e arrdt (où il n'y avait que des intellectuels, des artistes, des médecins) j'étais déjà l'ouvrier "en lutte contre le capitalisme" (à la SNECMA) - car j'avais deux cellules, celle de l'usine, et celle du 17e où je logeais dans une pièce-débarras dans une arrière-cour. Mon engagement dans le communisme avait d'ailleurs commencé d'une manière tout à fait exceptionnelle. En rentrant d'Allemagne, où j'avais fait mon service militaire, en 1953, je fonçai de la Gare de l'Est au Carrefour Chateaudun, le siège du Comité Central et, après avoir sonné et frappé la grosse porte blindée, j'entendis derrière un guichet grillagé un homme crier :" Qu'est-ce que tu veux ?" - Je viens adhérer au Parti ! Et la porte s'ouvrit, et l'homme qui me fit remplir mon bulletin d'adhésion sous le portrait du camarade Staline rayé d'un bandeau noir (le "génial Père des Peuples" nous avait quitté quelque temps auparavant) n'était pas n'importe qui ! C'était Auguste Lecoeur en personne, le "secrétaire à l'organisation", le propre dauphin de Maurice Thorez ! Je suis entré dans le "parti de la classe ouvrière" par la grande porte, d'autant que, quelque temps plus tard, envoyé à la SNECMA par Auguste Lecoeur "pour reconstruire le parti" qui avait été décimé par les chars de Jules Moch, sur le boulevard Kellermann, je reçus ma première carte de la CGT des mains mêmes de Georges Marchais, alors secrétaire de la CGT de la métallurgie à Issy-les-Moulineaux !


















2ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Gabriel Enkiri - Lorsque vous prétendez être "prophétique", que voulez-vous dire par là ? Que vous prévoyez les événements ? Que vous auriez un don de "divination" ? Ne serait-ce pas vos origines "orientales", en fin de compte, qui transpireraient dans votre discours, allez, disons-le, messianique ?

Réponse - Je n'ai pas connu mon père. Il est venu en 1900 à Paris - il avait tout juste 20 ans - de Saint-Jean-d'Acre où il est né en 1879. Certes, il s'agit d'une ville fameuse, de l'Antiquité à nos jours. Et ce qui m'impressionne, c'est que mon grand-père, Pierre Enkiri (ou Enchiri) est né à Lyddie (Lod aujourd'hui en Israël) en 1833 ! Je peux donc imaginer que mon arrière-grand-père a soutenu le siège de Bonaparte en 1799 ! Je ne sais pas trop bien qui étaient les Enkiri, sauf que c'étaient des chrétiens maronites installés en "terre sainte" probablement au 18e siècle, à An Nachoura, poste frontière aujourd'hui entre le Liban et Israël, d'où le nom de Enkiri (pour An Nachoury), ce que confirme Abdallah Naaman, le conseiller culturel du Liban à Paris dans son monumental ouvrage paru récemment aux éditions Ellipses ("Les Orientaux de France"). Lorsque je me suis rendu au Liban en 1970 pour y faire un reportage pour le journal Combat (en réalité je voulais découvrir ma famille "libanaise") et c'est Philippe Tesson, alors rédacteur en chef du journal, qui m'avait payé le billet d'avion, j'ai rencontré pratiquement tout le monde, Libanais et Palestiniens dans les camps de Beyrouth et de Saïda. A ce propos, je veux saluer la mémoire de Georges Haoui qui vient d'être assassiné; lorsqu'il m'a reçu, il était jeune, une trentaine d'années, et je me rappelle fort bien l'entretien qu'il m'a accordé. Il était très sympathique, et je fus surpris d'apprendre qu'il était chrétien, mais il est vrai que dans la gauche et l'extrême-gauche libanaise, il y avait beaucoup de chrétiens aux côtés des musulmans. Je le revois encore lever les bras au ciel lorsque je lui ai dit :" Vous vous rendez compte, George Haoui, que vous avez aidé les juifs à s'emparer de la Palestine en 1948 ? Vous, des Arabes ! Le pauvre s'est écrié :"Ah ! si c'était à refaire ! Croyez-moi que l'on ne vous suivrait pas. Car c'est vous, les communisres français (je lui avais dit que j'avait été membre du PCF, et que j'en avais été exclu en 1956) qui étiez complètement aux ordres de Staline, et le N°1 dans les partis dirigeants, c'est vous qui nous avez entraîné en faveur des sionistes ! Vous étiez les vrais dirgeants à l'ouest du mouvement communiste, et particulièrement des partis arabes au Maghreb et au Machrek.
Je dois avouer que c'est Haoui qui m'a "mis la puce à l'oreille"'. Et j'espère que Marie-Georges Buffet ayant ouvert enfin les archives du PCF, va nous permettre d'y voir plus clair dans cette sombre période qui va - de 1939 à 1949 (mais je vais y revenir).
En 1970 donc, j'ai rencontré tout le monde au Liban, et notamment le Patriarche Paul-Pierre Méouchi qui m'a reçu, ma compagne et moi, dans sa résidence estivale de Bkerké en s'écriant "Ah ! Comme je suis content d'accueillir un parent breton !" J'étais sidéré, et lui de m'apprendre (il le tenait de sa grand-mère qui ne racontait pas d'histoires !) que les Enkiri étaient des Méouchi qui avaient quitté la montagne libanaise pour aller s'installer en Terre Sainte près de St-Jean-d'Acre, à An Nachoura, d'où ce nom de Nachouri (ceux de Nachoura) nom francisé en Enkiri par les pères maronites de la région... Le Patriarche Méouchi fut un grand politique, et Le Liban aurait bien besoin de lui en ce moment !

Gabriel Enkiri - Vous n'avez pas connu votre père, et cependant, vous semblez être fort influencé par vos "origines" libanaises !

Réponse - Exact ! C'est toujours le problème de l'absent qui devient, avec le temps, de plus en plus présent. Avant de revenir à mon père, nous allons faire un petit détour par la Bretagne maternelle !























3ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Mes yeux se sont ouverts sur le monde le 3 septembre 1939 à Hennebont, dans le Morbihan. Mme Hello criait, en traversant la route de Lorient "Ça y est : c'est la guerre ! L'Angleterre a déclaré la guerre ce matin, la France c'est pour ce soir à 17h !".

Gabriel Enkiri - Vous alliez sur vos huit ans, vous êtes né le 1er janvier 1932, je crois ?

Réponse - Je ne saurai jamais quand je suis né ! Mon père a triché, il voulait me faire gagner une année ! Ma mère ne se souvenait plus si j'étais né le 30 ou le 31 décembre 1931. En tout cas, mon père a eu du flair; cette petite tricherie m'a évité d'être rappelé en Algérie en 1956 : j'étais du contingent 52/1 et le rappel s'est arrêté au 51/2 !
J'ai eu une enfance heureuse, formidablement heureuse en Bretagne. Ma grand-mère ne parlait quasiment que le breton, et ma mère parlait les deux langues, le breton et le français, mais nous les deux garçons nous ne parlions que le français ! Le premier "incident" qui a marqué ma vie c'est la "bataille" qui a opposé le curé de St-Caradec à ma mère lorsqu'elle a pris la décision (pour des raisons financières) de me mettre à l'école laïque... plutôt qu'à St-Hervé, alors que j'étais l'enfant de choeur préféré de "Job-la-Canne" ! Il est venu faire une scène épouvantable à ma mère. Je le revois dans le jardin la menaçant d'excommunication :" Vous n'avez pas le droit, Suzanne, de mettre votre enfant à l'école du Diable !" Elle a tenu bon, et j'ai eu la chance d'aller à l'école de la Vieille Ville !

Gabriel Enkiri - Je sens que vous avez gardé de votre enfance des souvenirs que vous chérissez. Accélérez tout de même, car nous serons encore là dans huit jours !

Réponse - Comment passer la guerre sous silence ? Car j'ai eu une guerre heureuse ! Les bombardements, la fuite au Mans, puis en Haute-Savoie à Megève, ou mon oncle Marcel Tisserant était directeur de l'Hôtel du Mont d'Arbois, la Résistance, les parachutages, et la Libération ! Le 8 Mai 1945, Place de l'Etoile à Paris avec de Gaulle, et une foule immense qui faillit m'écraser. Quel bonheur ! Le Dictateur au Gaumont, Place Clichy, Pourquoi nous combattons au Cinéac des Ternes, un mois au Lycée Carnot, avec Jacques Chirac ! Du moins, je l'imagine puisque nous avons le même âge, et qu'il est, lui aussi, un ancien du Lycée Carnot !

Gabriel Enkiri - Vous avez rêvé tout cela ?! On me dit même que vous avez rencontré de Gaulle en Irlande en 1950 ?

Réponse - C'est la vérité, la pure vérité ! Il s'agit de faits insignifiants que j'ai métamorphosés en événements. J'ai parfois l'impression qu'il ne s'est rien passé dans ma vie, et que je la meuble avec des souvenirs enthousiasmants ! Des petits riens qui font une épopée ! Adolescent, j'avais besoin d'un père, et tout naturellement j'ai choisi le plus illustre des Français : de Gaulle ! Je l'ai retrouvé en Irlande au Shelbourne Hotel, à Dublin, où mon oncle m'avait envoyé travailler à la réception de l'hôtel pour y apprendre l'anglais. Le général, qui avait comme on sait une mémoire d'éléphant, m'a reconnu : il était, comme moi, éberlué ! Le soir même, il m'a fait quérir par le directeur de l'hôtel, Mister Malloy, et je suis resté avec lui quelques minutes dans son appartement, tandis que tante Yvonne, assise dans un fauteuil, parcourait des illustrés, en nous observant du coin de l'oeil, visiblement amusée par le tableau : le général me révéla qu'il avait une ascendance irlandaise et se saisissant d'un livre consacré à la vie d'O'Connell, il m'énonça avec fierté et admiration :" Le plus grand combattant de l'Irlande ! L'auteur de ce livre n'est autre que ma grand-mère maternelle, Joséphine Maillot, la fille de mon arrière-grand-mère irlandaise !". Cette révélation m'avait enthousiasmé : il y avait bien une parenté entre O'Connell et de Gaulle, les deux géants de l'Irlande et de France !



















4ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Au Shelbourne hotel, l'hôtel le plus prestigieux de Dublin, j'ai vu arriver Charlie Chaplin avec sa jeune femme Oona, la fille du grand poète irlandais O'Neill, et John Kennedy, qui briguait le siège de sénateur à Boston, avec la séduisante Jackie qui me confia en riant, avec un charmant accent américain :" Moi aussi je suis un petit peu française, j'ai de la famille en France, Bouvier, vous connaissez ?". Le futur Président des Etats-Unis me demanda alors - en anglais - ce que je pensais du "Général Charles de Gaulle". Je me souviens lui avoir annoncé triomphalement que "le général de Gaulle reviendrait au pouvoir l'année prochaine, en 1951" ! Là, je me suis planté, il n'est revenu au pouvoir qu'en 1958... 1950, c'était l'année de la "guerre chaude" en Corée, et beaucoup redoutaient une guerre nucléaire, un avant-goût de cataclysme qui inspira Avant le déluge, le film d'André Cayatte... Je n'ai pas vu Churchill - détesté par les Irlandais obsédés par les "six Comtés du Nord" qu'il leut fallait, à tout prix, reprendre aux Anglais. Il est pourtant venu participer à cette "conférence au sommet", en cachette. "Il ne viendra certainement pas au Shelbourne", m'avertit Paddy, mon jeune co-équipier à la réception de l'hôtel. Paddy, il est vrai, était un sympathisant de l'Armée républicaine.

Gabriel Enkiri - Comment êtes-vous passé du "gaullisme" au "communisme" ? N'est-ce pas surprenant ?

Réponse - Comme vous le devinez, j'ai une double identité. En Irlande, c'est mon identité bretonne qui a pris possession de moi, d'une manière contradictoire. Car moi j'admirais Churchill bien sûr. Au contact des Irlandais un peu fous (d'Irlande) j'ai découvert une Bretagne que j'ignorais complètement : celle des Breiz atao (indépendantistes). A la Saint-Patrick, Paddy m'invita à une drôle de réunion : dans une salle, une grande cave m'a-t-il semblé, plusieurs dizaines de Bretons, condamnés à mort pour la plupart, par contumace, ou aux travaux forcés, fêtaient la Saint-Patrick avec leurs amis irlandais ! A l'entrée, un cerbère me demanda si j'étais Breton. Je lui répondis "Breton et Français". "Nous n'acceptons ici que les Bretons" fit-il en me repoussant. Mais Paddy, habile négociateur, finit par m'imposer ! J'ai mangé des crêpes bretonnes absolument " bretonnantes" en Irlande !

Gabriel Enkiri - Ne me dîtes pas que vous êtes passé au communisme en avalant une bolée de bon cidre "bien de chez nous" !

Réponse - Ah ! Ah ! Le cidre mousseux (c'est celui que je préfère) m'a souvent accompagné dans mes élans libérateurs. En Irlande, voyez-vous, ce qui m'a sidéré et révolté c'est l'emprise de l'Eglise sur les âmes et sur les corps. En ce temps-là, l'Eglise catholique était encore omnipotente (aujourd'hui je sais que cela a bien changé). Je me souviens que je serrais les poings lorsque je passais devant une église ! Je m'imaginais lançant des grenades, pulvérisant l'autel et son prêtre assermenté. A coup sûr, mon anti-cléricalisme, né en Bretagne contre Job-la-Canne, atteignit des sommets dans les rues de Dublin. Par ailleurs, la région lorientaise, et notamment à Hennebont où les frères Trottier, des industriels venus d'ailleurs, avaient construit Les Forges sur les rives du Blavet, à Lochrist, à la fin du siècle dernier (19e), était devenue "rouge", très rouge même, avec l'Arsenal de Lorient, sur l'autre rive, celles du Scorff, dans la rade de Lorient. La ville avait été rasée en une nuit par les bombardements alliés, qui visaient la fantastique base sous-marine construite par les Allemands. Mon oncle Joseph Jamet avait travaillé sur les chantiers et il nous avait raconté que les bombes qui tombaient sur eux - ils continuaient de travailler dessous ! - faisaient à peine trembler les murs en béton, de plusieurs mètres d'épaisseur ! Les Anglais incendièrent la ville en une nuit, et nous partîmes tous le lendemain, qui par route, qui par train de marchandises (ce fut mon cas). Mais je vous l'ai dit : j'ai eu une enfance heureuse même pendant la guerre. C'est après la guerre que j'ai changé de monde.
















5ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Si je comprends bien, c'est le passage à l'adolescence qui fut difficile ?

Réponse - Quand je suis revenu chez moi, en Bretagne, à la fin de la guerre, j'avais treize ans, le paradis de mon enfance avait disparu et cédé la place à un champ de ruines ! Partout, des trous béants, des rues qui n'avaient plus de nom. Par chance, notre maison, et le quartier chez nous à Hennebont, avaient peu souffert. Quelques bombes, quelques murs renversés, nous étions des sinistrés partiels ! Dans la poche de Lorient, les Allemands avaient résisté jusqu'au bout, jusqu'au 8 Mai 1945 ! Et Hennebont, somme toute, avait été détruite après la Libération par les Allemands qui bombardaient les environs de Lorient et effectuaient des razzias pour survivre. D'où une certaine rancoeur à l'égard des Alliés et des Résistants. Le Lycée Dupuy-de-Lôme, qui avait émigré à Guémené pendant la guerre, était revenu à Lorient, reconstruit provisoirement dans des baraques. Alors que j'avais été jusque là un bon élève, j'ai sombré rapidement, année après année, d'où ce départ pour l'Irlande fin 1949. Curieusement, c'est dans cette ville ultra-catholique, Dublin, que je me suis senti devenir communiste. Le coup de grâce m'a été donné en juin 1951 lorsque le RPF de de Gaulle (que j'avais rallié dès sa fondation, en 1947, à quinze ans !) échoua aux législatives ! De Gaulle décida, très rapidement, l'année suivante, de rentrer à Colombey. J'étais orphelin. Donc disponible pour un nouvel engagement. Je devançai l'appel fin 1951, et partis faire mon service militaire en Allemagne. Là, je fis la connaissance d'un jeune communiste, parfaitement sincère, dont le père travaillait à la RATP, et militait à la CGT. Nos discussions furent vives et passionnées, et peu à peu mon anti-communisme fondit comme neige au soleil. J'avais pourtant lu J'ai choisi la Liberté de Kravchenko, et le livre sur les camps de concentration de David Rousset. "Toi, un type intelligent ! Comment peux-tu croire les bobards de la presse bourgeoise !" m'assénait jour après jour mon compagnon de chambrée. Lorsque je pris ma décision, j'écrivis au Comité Central pour commander un certain nombre de brochures, et le dernier livre du "génial" camarade Staline "les problèmes du socialisme en URSS". C'était au lendemain du 19e Congrès du PCUS tenu en octobre 1952 à Moscou. Mais il me fallait également écrire à "mon père", retiré à Colombey-les-deux-Eglises (c'est le cas de le dire : j'avais bien deux Eglises !). Je lui expliquai longuement que j'étais vraiment tenté par le communisme, en dépit de ses "défauts", et des "camps de concentration" en URSS (car là j'avais du mal à croire complètement mon camarade de chambrée lorsqu'il prétendait qu'il s'agissait "sûrement" de camps de "rééducation" !). Je reçus donc une réponse de Colombey, j'ai perdu cette lettre, hélas, mais je ne sais plus si elle émanait du Général, ou de l'un de ses secrétaires, mais, en tout cas, ma lettre avait été lue "attentivement" car elle me répondait presque point par point. Je me souviens que mon correspondant me disait que j'avais tort de considérer le "parti communiste comme étant le parti de la classe ouvrière", et il s'appuyait sur les élections législatives de 1951 pour démontrer que "seule une minorité d'ouvriers" avait voté pour le PCF. Selon lui, les employés étaient bien plus nombreux que les ouvriers, et ceux-ci avaient voté en majorité pour les partis non-communistes, en conséquence on ne pouvait plus dire que le "parti communiste était le parti de la classe ouvrière". Il avait raison, et je l'ai découvert plus tard. Il terminait en disant "comprendre" mes états d'âme, mais que je devais être patient (c'est la première fois que l'on me parlait de patience, qu'il fallait être patient, apprendre à être patient...). Ah oui ! Je peux le dire : par la suite j'ai appris à l'être, patient !). En conclusion, le correspondant de Colombey me disait "que j'étais libre de mon choix".
A Colombey, le Général allait pouvoir écrire ses Mémoires. Mais moi, à vingt ans, j'avais besoin de croire !























6ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Et c'est pourquoi vous avez couru Carrefour Chateaudun vous inscrire au parti !

Réponse - Là, je me rends compte que j'avais tout faux, c'était la fin du communisme. Quelle erreur ! Il s'agit bien de la première erreur dont parle Paul-Marie de la Gorce. Ce qui m'a sauvé, c'est la SNECMA, c'est mon entrée en usine. Ma découverte de la vérité fut rapide et foudroyante. J'arrivais de Bretagne, provincial un peu niais - bien qu'ayant transité par l'Irlande et l'Allemagne. Je me souviens de mon étonnement le jour où j'arrivai devant la grande usine du Boulevard Kellermann; j'avais à mes côtés un de mes camarades d'atelier. Il me poussa du coude et me dit :" Oui, tu vois, les ouvriers viennent maintenant travailler en bagnole !". En effet, le terre-plein entre le stade Charlety et la SNECMA était bourré de voitures, toutes alignées à perte de vue sur le boulevard. Moi qui croyais que la voiture était un luxe que seuls des gens riches pouvaient se payer ! (A Hennebont, les voitures étaient rares). Ici, les ouvriers en possédaient une ! Et à l'intérieur de l'usine, quelle surprise ! Certes, la SNECMA était ce qu'on appelle une usine moderne - elle fabriquait des moteurs d'avions - bien plus moderne que Panhard, de l'autre côté de la Porte d'Italie, qui fabriquait des voitures ! Les ouvriers étaient des professionnels qualifiés, avec bien sûr des O.S. dont j'étais; les techniciens, les ingénieurs étaient également nombreux. Les ateliers étaient propres, et les grosses machines impressionnantes. L'usine donc avait été lock-outée, quelque temps auparavent, sur décision gouvernementale. Depuis la Libération, le parti contrôlait quasiment toute l'industrie de la métallurgie, avec Renault et la Snecma en bastions. Et le 13e arrdt, avec ses quartiers ouvriers, était devenu un fief du PC. Pour un carreau cassé, le PC et la CGT étaient capables d'arrêter l'usine. On ne comptait plus les débrayages : pas un jour sans ! Le Ministre de l'Air, Charles Tillon, règnait en maître sur les usines d'aviation. Le mutin de la Mer Noire, Charles Marty, grand rival de Maurice Thorez, était un vieux député du coin. On respirait l'odeur d'huile brûlée jusqu'à la fameuse Butte-aux-Cailles où l'ouvrier Varlin, pendant la Commune de Paris, en 1871, avait été agressé et mutilé par des "versaillaises"... Le Ministre de l'Intérieur, le socialiste Jules Moch, envoya les chars sur le boulevard Kellermann pour expulser les communistes de l'usine ! Et la direction réembaucha, après enquête, chaque ouvrier, mais comme me l'avait expliqué Auguste Lecoeur, alors dauphin de Maurice : " ils ont été obligés de reprendre des membres du parti, car parmi eux, il y a beaucoup de professionnels qualifiés... ! Ils ont besoin de jeunes types comme toi !". J'ai revu plus tard Auguste, après sa msytérieuse exclusion, porte de la Villette, il était devenu routier pour gagner sa vie. Il m'a reconnu ! Je lui ai raconté ce qui m'était arrivé. Il est resté tout songeur, au bas de son camion :" C'est Vermersch et Duclos qui m'ont fait barrage... " a-t-il murmuré. Je lui ai alors confié que j'écrivais un livre, un roman "pour raconter ce que j'avais découvert à la SNECMA" - Moi aussi, je vais écrire un livre, un gros livre comme ça, m'a-t-il fait en écartant les bras.






















7ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Vous avez peut-être eu tort d'entrer au PC, mais pourtant vous y êtes entré au bon moment !

Réponse - C'est vrai : Staline venait de mourir. Et, conjointement, la France entrait dans le XXe siècle ! Je l'ai vu, de mes propres yeux, je puis en témoigner : la France est entrée dans le XXe siècle en 1954, sur le boulevard Kellermann ! Les voitures, certes, sur le terre-plein. Mais à l'intérieur ! Les ouvriers se battaient pour faire des heures supplémentaires, ils voulaient gagner plus... pour acheter les biens de consommation, le confort domestique, la cuisine, le frigo, et les congés ! Bref, les ouvriers devenaient des consommateurs, des salariés consommateurs. Et la télévision, par là-dessus, a fait le reste ! C'est en 1954 que, pour la première fois, nous avons découvert la télé, à l'occasion de la fameuse coupe du monde de football où l'extraordinaire équipe de Hongrie s'illustra et perdit en finale contre l'Allemagne de l'Ouest, au grand désespoir des puristes qui n'avaient jamais vu jouer au football "comme ça !". Nous regardions les matchs, agglutinés sur le trottoir devant les télés installées dans les vitrines des magasins. Bientôt on dirait (comme pour JC) "avant la télé", "après la télé"... Je suis arrivé à ce moment-là, et comme j'étais jeune et "ouvert" (et non pas sectaire comme l'étaient les autres membres du PC) et surtout, désireux de comprendre pour agir efficacement, je ne repoussais pas les anciens, je ne les traitais pas de renégats, et qu'est-ce que j'entendais ! Un déluge de récriminations, de critiques plus ou moins radicales... contre le Parti ! Et moi, tout bêtement, je me disais "si le parti veut agir, être efficace, il faut qu'il retrouve la confiance des travailleurs, parce que là, il l'a perdue ! - Te rends-tu compte, me disaient-ils, c'est le parti qui gouvernait ici, à la Libération, on les a vus à l'oeuvre, c'est eux qui ont inventé les "chronos", il fallait battre les records de production comme en URSS ! Le mec qui protestait était traité de "saboteur", on était fliqué, dénoncé en cellule comme "mauvais travailleur". Ça râlait dûr. (Je n'en croyais pas mes oreilles). Aussi, m'ont-ils appris, quand la grève a éclaté chez Renault (25 avril 1947). Ah, la grève Renault ! On en causait sacrément à la SNECMA. "Et si on faisait comme eux ?" Voilà que les gars de la Fédé (de la métallurgie) débarquent à la cantine (vaste salle située tout en haut du bâtiment). On s'attend à ce qu'ils nous appellent à rejoindre la grève. Stupeur ! "Ils dénoncent les grévistes, des provocateurs, des trotskistes manipulés par la police, ça discutait dur dans les ateliers; le lendemain, les grévistes viennent à leur tour nous dire pourquoi ils font grève " pour l'augmentation des salaires (bloqués), contre les cadences infernales..." Oh ! la ! la, les gars du parti, ils n'en menaient pas large... Et le lendemain, revoilà les gars de la Fédé :" Tous en grève ! Pour l'augmentation des salaires ! Contre les cadences infernales ! La grève Renault est une grève juste ! Grève générale, camarades !" Ils se sont fait alors éjecter du gouvernement par le socialiste Ramadier. Il y avait de la rancoeur, et de l'incompréhension, c'est sûr, dans les ateliers où avait sévi le "parti de la classe ouvrière". Là aussi on peut dire qu'il y a eu conjonction de deux forces : un rejet des méthodes communistes (et donc du PC) et un appétit de consommation : nous entrions dans la société de consommation, je dirais, "à l'insu de notre plein gré".
Difficile de comprendre les événements en pleine action, ou qui sont même parfois en action "souterraine". Il faut, comme on dit, avoir du "pif", savoir répérer les indices, bref être un peu magicien. (La même invisibilité va se reproduire en Mai 68 ! On en reparlera).
A la tête du PC, Maurice Thorez s'inquiète. Soigné en URSS, il revient, amoindri physiquement, mais en bonne forme intellectuelle. Son retour précipite la chute d'Auguste Lecoeur, le dauphin prématuré. Il a vu à Moscou une "direction collective" succéder à Staline, et il découvre à Paris un parti affaibli, divisé en clans. Il tente de reprendre les choses en mains, et pond une incroyable thèse sur "la paupérisation absolue de la classe ouvrière" ! Il veut absolument "démontrer" que les travailleurs vivent plus mal qu'au 19e siècle ! La démonstration sera difficile, et pour cause, je puis en témoigner ! La cellule bourgeoise du 17e arrdt me confie le soin - puisque je suis le seul "ouvrier" de la cellule ! " - de rapporter et d'illustrer la thèse de notre cher Maurice. J'aurai beaucoup de mal, je l'avoue, à donner raison à notre "secrétaire général" en m'appuyant sur les ouvriers de la SNECMA : mes observations infirmaient totalement cette thèse fantasmagorique ! Avec le recul, on mesure combien la disparition de Staline, en 1953, mettait un terme à une imposture idéologique, et les communistes français ne l'ont pas compris...

























8ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Gabriel Enkiri - En somme, pour vous, c'est bien la mort de Staline, en 1953, qui marque le tournant du siècle ?

Réponse - Oui, tout va se précipiter, et pourtant nous allons être trompés pendant quelques années par les prouesses spatiales de l'URSS, entre 1957 et 1961. Chez nous, en 1954, Pierre Mendès France vient au pouvoir. Sa promotion correspondait à l'avènement de la société de consommation. Le PC ne s'y est pas trompé; sa thèse "sur la paupérisation absolue de la classe ouvrière" visait également à contrer ce que l'on appelait le "néo-capitalisme" incarné par PMF. Celui-ci rêvait d'installer en France un système à la britannique, bi-partis, avec un grand parti travailliste face à un parti conservateur. Il a échoué parce que la division politique de notre pays est telle que le Président du Conseil peut être renversé à tout moment par la fronde d'un petit parti. Ce que de Gaulle a parfaitement compris lorsqu'il a jugé préférable de faire élire le Président au suffrage universel. On dit que nous avons un Président-Roi, c'est vrai, mais il est élu, ou réélu, tous les 5 ans. Il est vraisemblable qu'Arnaud Montebourg rêve lui aussi d'une 6e République avec ses deux grands partis, à l'anglaise, ou à l'américaine. Lorsqu'on voit le morcellement des partis français, c'est "mission impossible". L'échec de Mendès France est là pour nous le rappeler; l'élection d'un Président au suffrage universel contraint les partis à se rassembler pour gouverner.
Les grands journaux de "gauche", le Nouvel Obs et le Monde notamment, ont glorifié les réussites spatiales de l'URSS et par conséquent contribué à maintenir le mythe d'un "socialisme d'Etat" en URSS. Pour eux, malgré ses imperfections, le "régime soviétique" avait réussi l'exploit de transformer des "moujiks" en ingénieurs, en "conquérants de l'espace" (sic).
C'est en 1954, sous Mendès France que j'ai découvert, ce que l'on appelle, les "juifs" ! Jusque là, malgré mes origines, je n'en savais rien ! J'ignorais même que nous avions été dénoncés comme "juifs" sous l'occupation - c'est mon frère qui me l'a appris récemment - et je me suis remémoré la frayeur de ma mère lorsque les gendarmes étaient venus à la maison pour "enquêter". Un voisin, sans doute, m'a-t-il dit, peut-être par jalousie avait donc adressé une lettre anonyme bien sûr. Ma mère étant née à Guiscriff, près du Faouët, l'enquête tourna court, mais ce nom, et ce père qui venait de Palestine - sous mandat britannique ! - devaient intriguer. En 1954 donc, Mendès France règnant à Matignon, la cellule bourgeoise du 17e arrdt se divisa en deux camps : les pro-Mendès et les anti-Mendès. Les camarades se disputaient vivement, et j'en étais déboussolé. Pour moi, Mendès était bien le représentant du "néo-capitalisme", et je ne comprenais pas la sympathie que certains éprouvaient pour lui. " Il n'est quand même pas si mal, rétorquaient-ils, il a fait la paix en Indochine, à Genève, et il nous a aidé à repousser victorieusement la CED (la communauté européenne de défense). Ces deux victoires, obtenues dans la seule année 54, nous avaient revigoré, l'année suivante à Bandung, les pays afro-asiatiques émergeaient avec la Chine, l'Inde, l'Egypte etc. La "direction collective" triomphait à Moscou. Et soudain, tout bascula ! Sans crier gare, la "troïka" moscovite débarquait à Belgrade, accueillie à l'aéroport par le "camarade" Tito, ce pelé, ce gâleux, cet "hitléro-trotskiste" dénoncé comme le pire ennemi du socialisme; les brochures qui le traitaient d'"agent de l'impérialisme" étaient encore à l'étude dans les cellules ! "Camarade, s'écriait Khroutchtchev, c'était une "erreur", on vient s'excuser, cela ne se reproduira plus" ! Beaucoup en tombèrent de leur chaise. Le choc était énorme; il faut savoir que le schisme yougoslave de 48-49 avait déchiré le parti; des milliers de militants avaient soutenu Tito contre Staline. Ils avaient été exclus et étaient devenus des pestiférés. Pierre Hespel, qui avait été le plus jeune déporté (à 17 ans) à Buchenwald, dirigeant du parti communiste dans le Nord nous raconta, en 1957, comment le parti avait plusieurs fois tenté de le tuer sur les chantiers du bâtiment où la CGT déclenchait la grève contre sa présence, allant jusqu'à scier les échafaudages ! La "réconciliation" avec Tito passait mal... Comme toujours je voulais comprendre
























9ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Je me rendis chez le secrétaire de la section du 17e arrdt, un brave type qui s'appelait Bassompière (je ne me souviens plus de son prénom). Surpris, il me demanda "qu'est-ce qui t'amène ?" - J'aimerais avoir des explications sur la "réconciliation" avec Tito - Ah, toi aussi ! s'écria-t-il... Il faut avouer, lâcha-t-il tout bas. "C'est vrai que c'est extraordinaire, mais je n'en sais pas plus que toi !" Et désignant les brochures qu'il avait sur une étagère " Celles-là, ce sont les vieilles. Tu les as lues... Il faut attendre les prochaines" fit-il avec un sourire qui laissait poindre, me sembla-t-il, quelque ironie, elles ne devraient pas tarder". Et il en profita pour me demander "comment ça se passait dans ma cellule". - Je ne comprends pas pourquoi il y a des camarades qui se disputent à propos de Mendès France... Pour moi, c'est un "agent du grand capital" et il vient de céder devant les Américains en signant les Accords de Londres qui réarment l'Allemagne... - Tu as raison, approuva le secrétaire de la section. Mais tu comprends, ce sont... (il hésitait : me croyait-il juif ?). Tu vois ce que je veux dire, ce sont... des juifs, et Mendès France est juif ! On a déjà eu un problème avec ces camarades il n'y a pas si longtemps - A quel propos ? demandai-je, toujours désireux d'apprendre... - Tu sais bien, avec leur Etat, Israël ! Certains étaient pour, d'autres étaient contre. Il y en a qui nous ont quitté à ce moment-là, certains sont même partis là-bas, fit-il avec tristesse. Et les Egyptiens ? Vous avez des Egyptiens dans votre cellule... - Ils ne comprennent pas pourquoi l'Union soviétique soutient Nasser. Ils disent que les communistes sont jetés en prison en Egypte, que Nasser est anti-communiste... - Ils sont agaçants avec leurs questions ! Ils troublent nos militants, je crois que la Fédé va leur demander de rendre leur carte.
Quelque temps plus tard, en effet, ces communistes égyptiens furent interdits de cellule. Ils rendirent leur carte en pleurant. Ainsi, derrière les victoires (trompeuses) qui nous grisaient, se dissimulait un autre cours en profondeur qui allait, lui, précipiter le parti dans la débâcle. D'ailleurs, Ilya Ehrenbourg, l'écrivain officiel du régime, publiait en URSS un livre au titre prémonitoire Le Dégel...

Gabriel Enkiri - On a l'impression en vous écoutant que le PC français n'était qu'une annexe de l'Union soviétique ! Et que sa disparition, somme toute, est logique. Pouvait-il survivre ? Est-ce que Marie-Georges Buffet peut encore faire quelque chose avec les restes ?

Réponse - C'est une vraie question. Personnellement, je n'y crois pas. Les rescapés du communisme ont sans doute leur place dans un grand parti "socialiste", social-démocrate peut-être. Mais la social-démocratie a-t-elle encore un avenir ? Est-ce que Blair et Schroeder, par exemple, sont des "sociaux-démocrates" ? A quoi bon un candidat "communiste" en 2007 ? Ça rime à quoi ? Non, voyez-vous, j'ai acquis la conviction que nous avons été victimes d'une fantastique mystification, la plus grande mystification de tous les temps : le "communisme" ! Et je m'en explique dans mon dernier livre qui vient de paraître...

Gabriel Enkiri - Ah ! Expliquez-nous comment vous en êtes venu à écrire, à publier ? Pourquoi n'avons-nous jamais entendu parler de vos livres, alors que vous êtes passionnant à entendre ?

Réponse - Il faut connaître le monde de l'édition et de la presse... Je suis entré dedans en quittant la SNECMA en 1958, et j'ai découvert que ce monde-là était branché sur le monde politique, par la force des choses, plus en France qu'ailleurs, et il n'est pas faux de dire que la France a quelque chose de "soviétique" tout simplement parce que la IIIe République (la République des enseignants !) a généré deux monstruosités : le soviétisme et le sionisme. Ou plus exactement ce sont les pays de l'Est - l'Allemagne, la Pologne et la Russie notamment - qui les ont engendrées, la France s'y trouvant impliquée par raccroc, si je puis dire, la classe politique de l'époque étant perméable aux influences étrangères, par le biais de la franc-maçonnerie (d'outre-Manche) et du socialisme (d'outre-Rhin). Ces deux puissances ont littéralement phagocyter le personnel politique français au point de le rendre "erratique", jusqu'à le conduire à participer à deux guerres mondiales, qui n'en font qu'une, la troisième (la même qui se poursuit) ayant déjà concrètement démarré en Irak - toujours au même endroit : le Proche-Orient !

Gabriel Enkiri - Si je vous comprends bien, le "monde de la presse et de l'édition" est aussi surprenant que celui de la SNECMA ?

Réponse - Ces deux mondes-là sont liés : ils sont "soviétisés". Ce qui veut dire que la réalité est occultée, et que ce qu'on appelle la vérité met un temps fou à surgir, un peu comme une rivière qui prend sa source au fin fond de la terre et qui mettra longtemps avant de faire surface. Voilà pourquoi mon expérience se révèle enrichissante : je parle du fin fond des profondeurs !
Je suis entré en "littérature" un peu comme je suis entré au PC : par la grande porte ! Après mon exclusion (temporaire : six mois) en 1956 (Guy Pettenatti, le secrétaire parlementaire de Charles Fiterman m'a appris, il y quelque temps, que c'était Annie Kriegel, la "papesse" du communisme en France, qui m'avait exclu !) contre la volonté de ma cellulle d'entreprise, j'ai beaucoup "gambergé", et beaucoup lu ! A la Nouvelle Gauche (petite organisation crée au même moment entre le PCF et la SFIO par des personnalités et des militants qui rejetaient les deux partis - Budapest et Suez !) j'ai rencontré des personnages étonnants et passionnants, y compris de vieux militants qui avaient connu Lénine et Trotski ! Là encore, dans ce milieu intellectuel et bourgeois, j'étais "le prolétariat en train de s'émanciper du stalinisme". J'avais créé un groupe Nouvelle Gauche à la SNECMA - avec celui de Renault qui, lui, avait été fondé par des cadres de l'entreprise nationalisée, nous étions la "base ouvrière" de l'organisation dont les leaders étaient principalement les fondateurs de l'Observateur : Claude Bourdet et Gilles Martinet. Les trotskistes (ceux de Boussel-Lambert étaient déjà là en sergents recruteurs) avaient pour mission de cornaquer les militants les plus "prometteurs". (Il semble que les frères Jospin, ou Trotspin, aient baigné dans ces eaux-là, mais je ne me souviens pas d'eux ! Et pourtant la Nouvelle Gauche tenait dans un mouchoir de poche, plus exactement dans une arrière-salle d'une librairie, rue de Chaligny, dans le 12e arrdt). J'avais pour cornac Lucien Kiner, un extraordinaire militant lambertiste qui rêvait de construire un vrai "parti communisre révolutionnaire". Anti-stalinien évidemment, il me fit lire tous les livres du "Vieux" (Léon). Je crois qu'il était réellement aliéné, comme tous les trotskistes, je veux dire que son univers mental siégeait à Petrograd, entre le Palais d'Hiver et le croiseur Aurore, et qu'il n'avait aucune possibilité d'en sortir, enfermé par une Révolution Mondiale mythique, assassinée par Staline, mais qui reprendrait son essor lorsque la "classe ouvrière" s'en émanciperait. Lucien était sûr de l'avenir : l'URSS un jour redeviendrait socialiste après une révolution qui renverserait la Bureaucratie stalinienne.





















10ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Gabriel Enkiri - Il y avait en somme déjà là, embryonnaire, le débat de fond entre réformistes et révolutionnaires, entre les tenants de la "nouvelle gauche" et ceux de la "vieille gauche", débat qui agite aujourd'hui les alter-mondialistes, et d'une manière générale la gauche dans son ensemble à la recherche d'un projet ?

Réponse - absolument ! Le retour au pouvoir de de Gaulle en 1958 aurait dû normalement générer ce débat à gauche. Malheureusement, la "gauche" s'est contentée d'être contre le Général, sans se renouveler. Et c'est pourquoi elle s'est retrouvée dans les bras de François Mitterrand, qui n'était même pas socialiste, mais qui incarnait, lui, le passé ! La victoire de Mitterrand, en 1981, a consacré la défaite (intellectuelle) de la gauche, sa démission. Malgré quelques tentatives ici et là, nous étions piégés. Ceux qui voulaient botter le cul au tandem de l'épouvante (Giscard-Barre) étaient bien obligés de voter Mitterrand, ce que j'ai fait !

Gabriel Enkiri - Le retour au pouvoir de votre père, en 1958, ne vous a-t-il pas fait problème ?

Réponse - Oui et non. Je ne regardais plus de Gaulle avec les mêmes yeux. Je l'avais quitté pour rejoindre un monde nouveau. Le communisme, c'était vraiment une autre patrie, une autre société. Et cependant, mon gaullisme de jeunesse m'a sans doute aidé à rester lucide. A la SNECMA, j'avais découvert un monde communiste qui n'était pas exactement conforme à l'image que l'on s'en faisait. J'avais touché la faille du doigt. De Gaulle n'était plus pour moi une alternative, j'avais trop investi dans la "reconstruction d'une nouvelle gauche". Et là j'ai encore eu la chance de mon côté : j'ai vécu Mai 58 (le retour au pouvoir de de Gaulle)à la SNECMA. J'ai vu alors le "parti communiste" complètement "déconner". Il déraillait, en fait, depuis 1956.

Gabriel Enkiri - Quels étaient alors vos rapports avec les "communistes" de l'usine ?

Réponse - assez tendus, ils étaient devenus inamicaux, sauf avec les copains de la cellule de mon équipe qui me faisaient confiance (ils avaient souvent adhéré à cause de moi). Le contexte "algérien" (l'insurrection avait été déclenchée en novembre 54) atténua les dissensions. Et surtout, j'arborais toujours mon petit sourire "ironique et triomphant". Je savais que j'avais raison, les événements me donnaient raison. Le 2 janvier 1956, les élections législatives anticipées, décidées par Edgar Faure (l'adversaire de Mendès au parti radical) donnèrent la victoire au "front républicain" constitué par Mendès France et les socialistes alors dirigés par Guy Mollet. Un jeune dirigeant du parti dans le 13e arrdt, un ancien métallo de la SNECMA, Bernard Jourd'hui, fut élu député - il était le plus jeune député de l'Assemblée Nationale. On lui prédisait une grande carrière, on parlait même de lui comme d'un futur "secrétaire général" (sans doute était-il déjà en concurrence avec Georges Marchais, un autre métallo, déjà secrétaire de la fédération de la métallurgie). Je parle de Bernard Jourd'hui parce qu'il a soudainement "disparu", comme si la Bièvre, cette minuscule rivière qui passe sous la SNECMA l'avait englouti dans " ses flots nauséeux". Bernard maîtrisait tout le 13e avec panache, il se sentait sûr de lui : n'avait-il pas chassé le "traître" André Marty (le "héros" des Mutins de la Mer Noire !) de sa permanence en le jetant dehors, sur le pavé ! Cet exploit l'avait propulsé à la Fédération de la Seine, rue Lafayette, cette puissante fédération où l'on décidait du sort de la carrière des plus dociles - après les évictions de Lecoeur, Servin, Casanova et autres trublions. Bernard ressemblait de plus en plus à un Thorez jeune (il en avait le physique). Du bagou, et quelle ligne ! La ligne officielle, celle qui assure la carrière. J'avais adressé une lettre à Pierre Mendès France, un peu avant sa chute, au nom d'un comité de jeunes que j'avais créé à l'usine; j'en avais bien sûr parlé à Bernard Jourdhui qui soutint vivement mon initiative : je demandais tout simplement au Président du Conseil de constituer non pas un Front Républicain, mais tout simplement un Front Populaire, avec le parti communiste, comme en 1936, en vue des prochaines élections ! Il me répondit "qu'il n'en était pas question présentement, que le Front Républicain suffisait". Nous distribuâmes sa réponse dans l'usine. "PMF était bien contre l'unité ! C'est lui-même qui le disait...". Quelque temps plus tard, la perspective d'un envoi d'appelés ou de rappelés en Algérie m'incita à créer un "comité de jeunes contre le rappel du contingent". Nous étions nombreux à être menacés, et le comité regroupa rapidement plusieurs dizaines de jeunes. Dans le 13e arrdt, l'action contre la guerre d'Algérie battait son plein. Si bien, qu'à peine élu, Bernard Jourdhui me proposa de participer à une "école fédérale" - à Paris. J'acceptai avec enthousiasme. Nous avions comme "professeur" un certain Mialet, conseiller municipal de son état. Et voilà qu'en pleine session, le "parti" vote les pouvoirs spéciaux à Mollet-Lacoste ! Abasourdis, les "élèves" assaillent leur prof, notamment des cheminots qui sont passés Gare de l'Est et Gare du Nord avant de venir pour voir comment réagissait la base. "Les gars ne comprennent pas ! Ils disent que les "socialos" ont toujours trahi !" A bout d'arguments, Mialet se lance alors dans une explication alambiquée sur l'art de faire des "compromis", citations de Lénine à l'appui. Je ne suis évidemment pas le dernier à poser des questions. A mon tour, je deviens un "gêneur"... Bernard Jourd'hui me convoque à la Fédé, rue Lafayette : "Tu te rends compte dans quelle situation tu me mets, me dit-il l'air renfrogné. Et moi qui ai insisté pour que tu participes à cette école ! Je te faisais confiance; les camarades à l'usine t'ont fait confiance. C'est vrai que les socialistes sont des "gérants loyaux de la bourgeoisie", mais c'est un parti ouvrier, c'est avec lui que l'on peut faire l'unité, qu'il lui faut imposer par l'union à la base... Nous n'avons pas le choix, et c'est d'ailleurs pour cette raison que le Parti a soutenu Guy Mollet plutôt que Mendès France, qui est le représentant du "grand capital".
Si tu veux poursuivre le stage, tu dois cesser d'importuner tes camarades avec des questions qui embarrassent Mialet". Je promis de rester bien sage à ma place, et par dérision, j'achetai le nouveau livre de Roger Garaudy (alors membre du Bureau Politique) qui avait pour titre un nom quelque peu provocateur dans ces lieux : "La Liberté" ! Je me rendis vite compte que les apparatchiks suspectaient ce dirigeant de déviationnisme tant leur regard se faisait désapprobateur à la seule vue de l'ouvrage que je trimbalais ostensiblement.
Ainsi, Bernard Jourd'hui a-t-il soudainement disparu. Je n'imagine pas un seul instant être à l'origine de sa disgrâce. Mais je sais qu'il y a eu à Paris des "procès de Moscou" où les "coupables" étaient accusés des pires forfaits, où tout était mélangé, vie privée et vie publique. Comme on dit, le procureur (Annie Kriegel ?) s'acharnait à dresser un acte d'accusation souvent vide . A la Libération, ils ont éliminé physiquement des gens qui n'étaient pas de leur bord. En 1956 s'ils avaient pu nous fusiller (ou nous enfermer dans des camps de "rééducation") ! En 1977, Charles Fiterman m'adressa une très belle lettre pour me dire "que si je voulais reprendre ma place au parti, il n'y avait aucun problème. En 1956, et après, on a souvent exclu les meilleurs ! Cette époque est révolue, je peux te l'affirmer." (Au fait, qu'est-il devenu ce brave Fiterman ? Je crois qu'il achève sa vie de militant à la tête d'une petite ville du midi, comme élu...socialiste !).





















11ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Revenons à de Gaulle, et à son retour imprévu de 1958...

Réponse - C'est fin 1957 que l'on a commencé à parler de de Gaulle. Antoine Pinay a évoqué cette éventualité. Enlisés en Algérie, les socialistes ne savaient plus comment en sortir (cela rappelle les Américains en Irak aujourd'hui). Notre comité de jeunes participait activement contre la guerre, dans le 13e, et lors du rappel du contingent, des trains furent bloqués quai de la gare, derrière la SNECMA - mais le PC traînait les pieds. Un jeune membre du parti, Alban Liechti, avait refusé de partir, une opposition au PC se manifestait en sa faveur. Tout bascula lorsque l'insurrection éclata à Alger, et que de Gaulle annonça qu'il était prêt à répondre "présent". Ce fut incroyable : les "communistes" pétèrent les plombs. On manifestait tous les jours "contre de Gaulle, contre le fascisme !" "Le fascisme-ne-passera-pas ! criait-on du Boulevard Kellermann jusque Place de la République, en de longs défilés, mais ce qui me frappa, c'est que dans les ateliers la grande majorité des ouvriers nous regardait d'un air goguenard. Eux ne pleuraient pas en voyant la 4e République s'effondrer. "Ça ne peut pas être pire, disaient-ils, et qu'ont-ils fait pour nous ? Et de Gaulle n'est pas un fasciste ! Ils nous prennent pour des c..." N'avaient-ils pas dit la même chose de Tito, avec lequel ils venaient de se rabibocher ? J'ai suivi, participé, un peu comme le chien de Pavlov ! Mais je fus effaré lorsque de Gaulle une fois élu, je vis des militants communistes abattus, répétant avec accablement "Le fascisme-a-gagné", "Je suis dégoûté, je vais quitter ce pays, c'est foutu etc. etc." Là, j'ai réalisé que le "parti de la classe ouvrière" avait disjoncté, qu'il était tombé dans une ornière... d'où il n'était pas près de sortir ! Je fus convaincu, dès le départ, que les ultras allaient se retourner contre de Gaulle, que celui-ci allait s'engager sur la voie de la négociation. Mon cornac, Lucien Kiner, à la Nouvelle Gauche, me disait que je me faisais des illusions sur le Général, sans doute à cause de mon gaullisme de jeunesse."De Gaulle est l'homme du grand capital, le chef de l'impérialisme français, il est revenu au pouvoir non pas pour négocier, mais pour maintenir l'Algérie française..." J'ai alors décidé de quitter l'usine... pour écrire... un roman... dans lequel je dirais tout ce que j'avais vu : il fallait le dire, crier la vérité !

Gabriel Enkiri - Quelle naïveté ! Comment pouviez-croire qu'avec un roman vous alliez changer le monde ?

Réponse - Un Manifeste, personne ne les lit plus ! Un roman, me disais-je, se déroulant en usine, ça n'était pas banal, on en parlerait forcément !

Gabriel Enkiri - Laissez-moi rire ! Vous avez dû tomber de haut...

Réponse - J'ai failli en mourir...
Tout avait pourtant bien commencé. J'ai quitté la SNECMA après les événements. J'habitais en ce temps-là à la Goutte d'Or, qu'on appelait la Casbah de Paris, un quartier où vivaient des milliers d''Algériens. Je me suis enfermé dans ma pièce-cuisine, près de l'Eglise St Bernard et du square Stephenson (au 12 de la rue Affre très exactement) et je me suis mis à noircir des pages au stylo-bille. A la Nouvelle Gauche j'avais fait la connaissance d'une femme remarquable, qui respirait l'intelligence, Colette Audry, la soeur de la cinéaste Jacqueline Audry. Elle était prof au lycée Molière, dans le 16e arrdt. J'appris qu'elle avait appartenu au gouvernement de Front Populaire en 1936, c'était une belle conscience et une autorité dans le mouvement socialiste. Je lui apportai un soir mes premiers écrits; elle m'encouragea à poursuivre, de même Olivier Todd qui me conseilla de récrire le texte "Sartre dit qu'il faut récrire son livre trois ou quatre fois". Enfin Audry m'annonça qu'elle allait le donner à René Julliard, l'éditeur de Françoise Sagan ! Elle me révéla que c'était elle qui avait découvert la jeune écrivaine, qui était une de ses élèves au lycée Molière. " Un jour en rentrant de vacances, elle m'apporta un manuscrit que je lui fis récrire, puis je l'ai porté chez Julliard. Depuis, il m'envoie des fleurs tous les ans ! Il peut bien le faire avec tout ce que le livre de Sagan lui a rapporté " ! René Julliard était un grand bourgeois de "gauche", mendesiste, qui avait pris une belle revanche sur les autres éditeurs en publiant Bonjour Tristesse. Le monde de l'édition était alors dominé par Hachette (dont j'ignorais alors la toute-puissance !). Il était quasiment interdit de Prix à la rentrée ! Sans doute parce qu'il se voulait indépendant, et qu'il refusait d'intégrer le circuit de distribution mis en place par Hachette. Lui aussi me demanda de faire des coupes, et de faire quelques ajouts. Je lui rapportai le manuscrit, et tout fut parachevé en trois semaines - en 1960 ! Christian Bourgois, son "bras droit", me fit part de son contentement "Je savais qu'il le prendrait". Mais René Julliard me mit en garde :" Vous savez qu'il y a très peu d'écrivains qui vivent de leur plume. Vous ne serez connu qu'après trois ou quatre livres. Vous devez assurer votre subsistance par un travail".
J'attendis en vain un article dans la presse ! Les semaines passèrent, puis des mois ! Toujours rien ! Enfin Maurice Nadeau, dans sa revue Les Lettres Nouvelles me consacra une note fort élogieuse, puis Gilles Martinet dans le Nouvel Obs se fendit d'un petit billet bienveillant. Je tombai de haut, effectivement.
La situation politique se dégrada sérieusement. Comme je l'avais prévu, de Gaulle, après les barricades d'Alger, programma l'auto-détermination du peuple algérien, puis son indépendance. Dans mon quartier, à la Goutte d'Or, les patrouilles mixtes (harkis-police française) déambulaient jour et nuit dans les rues jusqu'à Barbès. Les attentats entre Algériens se multipliaient. Le FLN exécutait les militants du MNA, et réciproquement. On le sait les militants du MNA de Messali Hadj étaient soutenus par les trotskistes et les socialistes, ceux du FLN étaient soutenus par les communistes et les gens du Nouvel Observateur. Il m'arrivait le soir en rentrant chez moi rue Affre (qui méritait bien son nom) d'échapper à une fusillade, et de trouver dans un caniveau ou sous une voiture le corps d'un militant abattu. Le commissariat était situé en bas, rue de la Charbonnière, ou rue Polonceau, je ne sais plus, et dans la nuit retentissait le bruit des explosions, grenades ou cocktails Molotov lancés contre l'entrée grillagée et protégée par une sorte de bouclier en béton. C'était bien une guerre civile qui avait commencé dans un quartier, certes marquée par une forte présence algérienne, mais le pays tout entier n'était-il pas à la merci d'un putsch ? Notre avenir était bien entre les mains de de Gaulle. Que se passerait-il s'il était assassiné ?























12ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Avez-vous prévu l'attentat du Petit-Clamart ?

Réponse - Oui ! J'étais persuadé que l'OAS profiterait de l'arrivée des pieds-noirs pour tenter "le grand coup". C'était leur chance ultime. Je me souviens que je broyais vraiment du noir entre mes murs. Je m'étais mis à écrire un autre livre que j'avais intitulé "le Clandestin"ou "Tête de Breton" (!). Jean-Paul Sartre venait de parrainer "l'Appel des 121" qui appelait à l'insoumission dans l'armée. Je lui expédiai mon manuscrit inachevé, et par l'intermédiaire de Claude Faux, son secrétaire (Claude Faux avait succédé à ce poste à Jean Cau) sollicitai un entretien du "philosophe engagé". Je conservais une certaine sympathie pour Sartre, malgré le reproche que j'entretenais à son égard, car je me souvenais que sa fameuse étude "Les communistes et la paix" parue dans les Temps Modernes, en 1952, avait balayé mes dernières réticences ! Selon lui, en dépit de leurs "faiblesses", les communistes luttaient pour la paix (sic), et c'était quand même mieux qu'Antoine Pinay ! Il fallait le faire, en pleine guerre de Corée ! Il me reçut donc, rue Bonaparte, dans l'appartement de sa mère, et m'encouragea vivement, lui aussi, à continuer d'écrire. Et il me demanda à brûle-pourpoint :" - Qu'attendez-vous de moi ?" Je lui expliquai que je n'approuvais pas le Manifeste des 121, parce que "on" se séparait de la classe ouvrière, et que peut-être le temps était venu de lancer un "appel aux travailleurs", par exemple du Terre-Plein de Penhouët, à St-Nazaire, où les ouvriers des chantiers navals avaient l'habitude de se rassembler pour engager la lutte. Il me contempla en souriant ( c'était un type très sympa, et simple, il savait vous mettre à l'aise) - Les travailleurs, c'est fini, me dit-il avec un regret dans la voix. Désormais, c'est le tiers-monde qui conduit les luttes..." Je n'insistai pas, peut-être avait-il raison ? C'était le temps de Frantz Fanon, cet intellectuel martiniquais, devenu le porte-parole du FLN, dont il venait de préfacer le célèbre ouvrage Les Damnés de la Terre. Sartre, lui aussi, avait tourné la page du "communisme-socialisme" prolétarien.

Gabriel Enkiri - N'était-ce pas prémonitoire ?

Réponse - Probablement ! Le Monde tournait la page... L'échec de l'attentat du Petit-Clamart (je me souviens avoir dit en apprenant l'attentat raté à la radio :" Ouf, c'est fini !"). Pour moi aussi, tout allait recommencer. J'allais découvrir un autre monde ! Il me fallait vivre, survivre. Je fis des "petits boulots" dans l'édition surtout, comme magasinier (chez Julliard, aux éditions du Cerf etc.). J'avais apporté quelques "tribunes" à Combat, où Philippe Tesson me donna à rédiger des "notes de lectures". J'ai connu là mes années de misère, puis j'appelai Xavier Grall, un breton comme moi, qui était rédacteur en chef de La Vie Catholique. Il me confia quelques reportages pour une revue du groupe de la Vie, Signes des Temps. Claude Bourdet me proposa d'entrer à France-Soir, il connaissait bien son rédacteur-en-chef, Charles Gombault, qui me reçut. Mais je ne me voyais pas finir journaliste à France-Soir, un journal de la "grande presse" que l'on méprisait à l'époque ! Finalement, c'est Georges Hourdin, le patron de La Vie Catholique qui me fit entrer à l'AFP en me recommandant à un autre Breton célèbre (Jean Marin) comme "employé de rédaction". J'étais casé, tranquille, "heureux".
Gabriel Enkiri - Vous avez continué d'écrire, je suppose ?
Réponse - Oui, l'avenir était bouché sur le plan politique. J'approuvais la politique étrangère du général de Gaulle, mais sa politique intérieure, conduite par Georges Pompidou... me donnait des boutons ! Ce conservatisme-là, clairement affiché, avec Giscard d'Estaing aux Finances, redonnait vigueur au parti "communiste", et d'une manière générale, à l'opposition "socialiste". A l'AFP je fis la connaissance de Marcel Beaufrère, un ancien déporté, passé du trotskisme au "gaullisme de gauche", il était le responsable du service social, et par lui, notamment à l'occasion de la présidentielle (la 1ère !) de 1965, je fus invité à des rencontres où je retrouvai tous les ténors du "gaullisme de gauche" dont certains étaient des anciens du RPF de la grande époque : René Capitant, Louis Vallon, Pierre-Marie de La Gorce, Léo Hamon etc.
Je savais que François Mitterrand était le plus grand adversaire de de Gaulle, l'homme à mes yeux personnifiait tout ce que je détestais : la IVe République et la politichiennerie. En vérité, la "gauche" avait le choix entre Mendès France et Mitterrand. Ce qui perdit Mendès France, je l'ai dit, c'est son attachement au "régime parlementaire" à la britannique, Mitterrand, lui, après avoir dénoncé le "coup d'état permanent" enfilera facilement les habits du Monarque-Président en 1981 ! En 1962 (instauration du régime présidentiel) et en 1965, j'ai donc voté de Gaulle sans hésitation.
A côté de l'AFP, rue Réaumur, à deux pas de la Bourse et de l'imposant immeuble de France-Soir, siégeait, en plein coeur du quartier de la presse (comme tout ça est loin !) un immense pouvoir, invisible... et pourtant visible ! Une entreprise opaque et obscure, prestigieuse et historique !, nommée Hachette. Elle recrutait des lecteurs de presse pour son service gouvernemental et c'est ainsi que je devins "lecteur"... pour le compte de Michel Debré ! (Chaque Ministre avait son lecteur, et l'Elysée les plus compétents !). Puis j'apprends par France-Soir que des manifestants ouvriers et paysans ont bloqué l'Express Paris-Quimper en gare d'Hennebont ! Mon sang ne fait qu'un tour ! J'avais réellement besoin de me resourcer, de respirer le grand air, de manger des crèpes et boire du bon cidre - cela faisait des années que je n'avais pas remis les pieds à Hennebont. A quel journal pourrais-je proposer un reportage "sur les paysans en lutte" ? Le service de lecture allant fermer, j'étais disponible. Je fonçai à l'Express, et croisant Françoise Giroud dans l'escalier, j'en profite pour lui expliquer que j'étais prêt à faire un reportage en Bretagne - Pourquoi pas ? me dit-elle, et le soir même je prenais le train pour Hennebont ! Ces quinze jours en pleine campagne m'ont regonflé à bloc !
Mais l'article ne convint pas à la rédaction en chef, et je le portai à Claude Bourdet qui le passa sur toute une page (la dernière) de Tribune Socialiste, le journal du PSU. Quelque temps au chômage, fin 1967, je pris la mesure du "malaise social" qui grossissait à vue d'oeil, comme la file des chômeurs qui venaient pointer tous les quinze jours à la Mairie du 18e. En décembre, je retournai voir Mr. Joberton, chez Hachette, rue Réaumur, qui avait dirigé le "service de presse". C'était un monsieur "très vieille France", assez comique, par son style, mais brave - Vous allez sur vos quarante ans, me dit-il gravement (j'en avais 35), il faut absolument que vous vous placiez, il est grand temps de vous ranger, et de faire carrière. Malheureusement, je n'ai rien à vous proposer actuellement, sauf une place de "distributeur", aux Bibliothèques de Gares, rue des Cévennes, dans le 15e arrdt. Vous y découvrirez le commerce du livre, vous savez Hachette, c'est une grande maison ! Je suis sûr que vous y trouverez rapidement votre place...
Et c'est ainsi que je suis entré, le 2 janvier 1968, dans le "ventre" de la pieuvre verte.
Pour croire à la pieuvre, il faut l'avoir vue... La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée... Gilliatt n'avait qu'une ressource, son couteau... Le poulpe en effet, n'est vulnérable qu'à la tête. Gilliatt ne l'ignorait point. Il regardait la pieuvre, qui le regardait... Ce fut comme la lutte de deux éclairs. Gilliatt plongea la pointe de son couteau dans la viscosité plate, et d'un mouvement giratoire pareil à la torsion d'un coup de fouet, faisant un cercle autour des yeux, il arracha la tête comme on arrache une dent. Ce fut fini. Toute la bête tomba. (Victor Hugo) (les Travailleurs de la mer)




















13ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - On a l'impression que ce Mr. Joberton est pour vous un second Lecoeur, qui vous ouvre les portes d'un monde inconnu, souterrain, que vous allez découvrir à l'occasion d'événements historiques ! Est-ce que je me trompe ?

Réponse - Non, c'est exactement celà ! Le PC, je l'ai décortiqué, entre 1953 et 1956. Hachette-la-pieuvre, je l'ai vue se convulser en Mai 68 jusqu'en 1974, l'année où Jacques Chaban-Delmas, son candidat de prédilection, sombra au 1er tour de la présidentielle qui vit triompher Giscard d'Estaing... Par la suite, pour ne pas mourir, elle se laissa séduire par un marchand d'armes qui rêvait d'étendre son empire à l'audio-visuel. Le papier et l'image feront bon ménage sous Lagardère ! La mégalomanie des nouveaux dirigeants d'Hachette sera mise sur orbite avec la fusée Ariane...
Lorsque j'arrivai rue des Cévennes, en ce début de l'An 68, la "Librairie Hachette" sentait le Joberton, si je puis dire. C'était une vieille dame, que les éditeurs entretenaient en lui confiant leurs ouvrages en exclusivité. Il faut reconnaître que le fondateur de la Librairie, Louis Hachette, avait fait preuve d'un certain génie. C'était déjà un éditeur important sous Louis-Philippe et Napoléon III, avant de devenir l'éditeur quasi-officiel de la IIIe République, celle des enseignants ardents prosélytes de la franc-maconnerie, et d'ailleurs, c'est d' Angleterre que Louis Hachette, après avoir visité l'Exposition Universelle, ramena l'idée des "bibliothèques de gares". Maître de l'Université et... des Chemins de fer, le trust fonda les Messageries du même nom, et, très vite devint le distributeur des principaux journaux, en même temps que le distributeur des éditeurs, y compris rivaux !, ce qui lui permettait d'en prendre assez rapidement le contrôle. Son rôle fut à ce point jugé déterminant (dans l'"orientation" de l'opinion) que la Résistance se jura de lui tordre le cou à la Libération. Mais comment tordre le cou à une "pieuvre" ? La loi Bichet, votée en 1947, transforma les Messageries Hachette en Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (NMPP) dont Hachette (avec 49% des parts) conserva la gérance. Et lorsqu'elle passa directement sous le contrôle de la puissante Banque de Paris et des Pays-Bas, la "vieille dame", dont le QG était Boulevard St-Germain, à l'angle du Boulevard St-Michel, en plein Quartier Latin, redevint boulimique... et quasiment intouchable.
A l'annexe de la rue des Cévennes-Javel, entre les usines Citroën et l'Imprimerie Nationale, nous étions environ 1800 à travailler dans les services de distribution (vers la métropole et l'étranger). Impressionnant ! La "librairie" Hachette, c'était une sacrée entreprise ! Avec, en amont, des imprimeries ( Brodard et Taupin pour le "livre de poche") et en aval 15 à 20.000 points de vente disséminés à travers tout le territoire. Dans l'Edition, tout le monde a travaillé chez Hachette, et la plupart de ceux qui créent une maison d'édition sont des anciens d'Hachette ! Impossible d'ignorer la "pieuvre"; en tout cas, elle, elle vous a à l'oeil ! Même si vous croyez lui avoir échappé, elle vous attend tranquillement, impavide au coin de la rue lorsque vous viendrez solliciter... ses services de distribution.
Gabriel Enkiri - En ce début d'année 68, avez-vous pressenti la suite, le printemps explosif ?
Réponse - Pas tout de suite, il me fallait découvrir l'entreprise. Je suis, comme vous le savez curieux de nature, j'aime comprendre, et pour cela il faut "y aller voir". J'ai ouvert un jour la porte du local des délégués du personnel. Il n'y avait personne ! Des toiles d'araignées indiquaient que l'activité syndicale était en sommeil. Or je venais de voir en Bretagne des manifestations assez musclées. Et des grèves dites "sauvages" éclataient dans des usines en province (Villeurbanne, Flins etc.). On les appelait "sauvages" parce qu'ells se déclenchaient hors des syndicats, qui ne fonctionnaient plus qu'à coups de grèves nationales rituelles de 24heures, déclenchées au sommet par des Appareils prudents et sans imagination. Pourtant en 1967, les Ordonnances à propos de la Sécurité sociale (réorganisée et augmentation du ticket modérateur) avaient ému l'opinion (Ah, la sécu, il ne faut pas y toucher !). Cette fois, j'ai encore eu de la chance : le département des Bibliothèques de gares s'était adjoint des points de vente situés dans les aéroports (Orly), les hôpitaux et les nouvelles Facultés (Nanterre, Vincennes etc.). Début mars, notre agente à la Fac de Nanterre, Mme Fournier, commença à nous appeler pour nous signaler des violences provoquées par les étudiants qui renversaient ses étals et dévalisaient sa librairie. Avec mon jeune collègue Fernand Picherel, nous partions la ravitailler en camionnette, et c'est ainsi que j'ai vu la Fac de Nanterre en pleine ébullition où allait se créer le Mouvement du 22 mars avec Daniel Cohn-Bendit et ses camarades. Nous étions sidérés à chaque visite, la situation se dégradait semaine après semaine, on avait l'impression que la Fac échappait à tout contrôle, que les étudiants, réunis en assemblée genérale quasiment en permanence, y faisaient la loi. L'autorité avait disparu, et Mme Fournier se demandait si elle n'allait pas fermer sa boutique. "Oh, la la ! me suis-je dit, si jamais la jonction s'opère entre le mouvement "sauvage" des travailleurs mobilisés jusque là localement, avec le mouvement étudiant, cela risque de devenir explosif !". On se souvient que Pierre Viansson-Ponté, le chroniqueur du Monde écrivait au même moment son fameux article "La France s'ennuie" et que, par la suite, on le trouva "prémonitoire". Lorsque je l'ai rencontré plus tard au Monde (il avait tenu à me voir après la parution de mon petit livre consacré à la "pieuvre verte") j'osai lui dire "qu'à mon avis il s'était trompé", il l'admit... sans l'admettre vraiment, et finit par lâcher " Oui, mais vous, vous êtes un militant, sur le terrain ! Moi, je ne suis qu'un observateur, dans mon bureau !".
J'étais donc en alerte, sur le qui-vive...


















14ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Sans doute avais-je les yeux tournés vers l'Ouest - d'où je venais ! Et le mouvement est parti de St-Nazaire (n'avais-je pas parlé à Sartre du "terre-plein de Penhouët" à St-Nazaire ?). Ce terre-plein était devenu un peu mythique avec ses rassemblements des ouvriers des chantiers navals et de la SNCASO (aéronautique). Il a progressé vers la capitale via Le Mans (Renault) et Flins. Mais c'est surtout lorsqu'il a atteint Renault-Billancourt que la situation a changé. Billancourt, c'était encore en 1968 la "forteresse ouvrière". Alors j'ai découvert chez Hachette, à Cévennes-Javel, les délégués de la CGT (il n'y avait que la CGT chez Hachette, affiliée au puissant Syndicat du Livre (imprimeries). Bien que non ouvriers du livre, Hachette-NMPP occupait une position stratégique de la plus haute importance que le Livre CGT tenait à contrôler. L'un de ces délégués était un ancien prêtre qui avait quitté l'église dans les années 50 (au moment de l'interdiction des prêtres-ouvriers par le Vatican) et que j'avais connu dans le 13e arrdt à la Nouvelle Gauche ! Avec un autre militant (membre du PCF resté stalinien) il formait chez Hachette la "tête" du syndicat, un syndicat, je le répète, devenu très mollason. Dès le lendemain de l'occupation de Renault, à Billancourt, ils appelèrent les employés à se rassembler dans la cour de Cévennes, et à leur demande, je suis intervenu au micro ! Pour le personnel, j'était totalement inconnu et j'ai parlé naturellement de "St-Nazaire, Le Mans, Billancourt... et maintenant c'est au tour de Hachette !". La grève fut votée dans l'enthousiasme, avec occupation immédiate de l'entreprise ! Les gens de la Direction qui étaient là n'en croyaient pas leurs yeux ! "D'où venait ce type ?" Eux non plus ne me connaissaient pas (excepté ce pauvre Mr. Joberton cloîtré dans son bureau, rue Réaumur). Tellement habitués à leurs "bons délégués" avec lesquels ils traitaient annuellement les "affaires" syndicales, ils en étaient tout décontenancés. "Cévennes-Javel en grève !" "Avec occupation !". L'annexe de Cévennes, pour tout Hachette, c'était le fer de lance, le bastion syndical, la "base ouvrière", le "prolétariat" de l'entreprise. La nouvelle éclata Boulevard St-Germain, là où se trouvait, dans le quadrilatère historique de la "librairie", à deux pas de la Sorbonne, le personnel "noble" : direction générale, cadres éditoriaux, services de la comptabilité etc. Tout Hachette fut rapidement occupé, et les manifestations dans le Quartier Latin passaient chaque jour devant le vaste immeuble, au carrefour des deux grands boulevards du centre intellectuel parisien, où les employés avaient déployé sur les murs de grandes banderoles proclamant l'extraordinaire vérité : "Hachette occupé" ! Je suis convaincu que cette occupation visible au coeur du quartier étudiant a joué un rôle d'accompagnement, et peut-être même d'entraînement dans les événements à Paris, du seul fait qu'Hachette était omniprésent dans l'enseignement et les facultés, sur tous les livres de classe !, et que la Sorbonne se trouvait à deux pas, juste en face !
Gabriel Enkiri - Mais vous là-bas, dans le 15e, comment réagissiez-vous ?
Réponse - On a immédiatement constitué un "comité de grève et d'occupation". A côté des délégués cégétistes, il y avait de nombreux jeunes non syndiqués, et nous nous en séparâmes en constituant un "comité d'action révolutionnaire". Je me souviens être allé à la Sorbonne, occupée, et être intervenu "au nom des employés de Hachette en lutte" dans une salle transformée en meeting permanent, vivement applaudi naturellement. Le mythe Hachette "révolutionnaire "est né là.
Dès le lendemain, nous avons vu arriver à Cévennes des étudiants. Les grandes portes donnant sur la cour étaient fermées. La discussion fut vive à l'intérieur : le délégué cégétiste, resté "stalinien", voulait leur interdire d'entrer. J'estimais, quant à moi, que c'étaient des alliés, et qu'il fallait les laisser entrer ! Je reconnais, avec le recul, et à mon grand regret que c'était ce militant communiste qui avait raison lorsqu'il me lança :" Tu as tort de vouloir les laisser entrer, tu verras dans vingt ans ces types-là nous taperont dessus ! Ils seront passés de l'autre bord : ce sont des fils à papa !". Je pense qu'il défendait avant tout son parti, débordé de toute évidence par la jeunesse, et que ces jeunes-là ne cachaient pas leur hostilité aux "staliniens". Mais lorsque nous voyons ce que sont devenus la plupart des leaders de Mai 68, force est de reconnaître qu'il n'avait pas tort ! En tout cas, les jeunes de notre comité, dont plusieurs étaient "maoistes" me donnèrent raison, et nous laissâmes entrer les étudiants dans l'entreprise. Ce que le PC, bien plus puissant, chez Renault, se garda bien de faire ! Un soir que nous étions allés rencontrer les gars de Renault à Billancourt, les sbires de la CGT derrière les grilles restèrent intraitables !
Gabriel Enkiri - Peut-on dire que tous les jeunes de votre comité étaient "gauchistes" ?
Réponse - Non ! Mais la tonalité était "gauchiste". Dans l'ensemble, le PCF ne les séduisait guère. Il est certain que les maoistes étaient les plus nombreux, et les plus actifs. Il y avait aussi des trotskistes, plus sages, plus traditionnalistes. Ce qui distinguait les "maos", c'était leur anti-communisme radical. Je ne les aimais pas, j'avais l'impression qu'ils étaient avant tout anti-communistes, anti-soviétiques. Je les trouvais ridicules avec leur "petit livre rouge de Mao". Ils étaient partis en guerre contre "les révisionnistes" de Moscou, ils étaient les "vrais" révolutionnaires (sic). Je n'ai jamais cru au maoisme, et je crois qu'ils m'en voulaient de le montrer, de même les trotskistes des différentes chapelles : ils auraient bien voulu que j'adhère à l'une d'elles. je ne l'ai jamais fait, même si je me sentais plus proche de ceux de Krivine - mais cela se voyait que leur recrutement était estudiantin, et j'avais passé l'âge !
Un jour je vis débarquer Beaufrère, de l'AFP, et il n'en revint pas de me voir à la tête d'un "comité révolutionnaire" ! On est allé boire un coup au bistrot du coin, je lui expliquai que j'étais anti-pompidolien, que si j'approuvais la politique étrangère du Général de Gaulle, le conservatisme de Pompidou me sortait par les yeux, et que je le jugeais responsable de la situation.. "A force d'ignorer les revendications des travailleurs, lui dis-je, on finit par provoquer la Révolution !". Il me dit que Capitant et Vallon faisaient tout pour l'abattre. "Je vais relater ce que j'ai vu, mais je suis obligé de t'étiqueter "gauchiste" avec les autres " me dit-il en riant, " tu sais qu'à l'AFP on est obligé de faire court..."
Gabriel Enkiri - Est-ce qu'il s'agissait vraiment d'une révolution ?
Réponse - Non !



















15ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Non ! Ça n'était pas une révolution... C'était quelque chose d'autre, que j'ai mis un certain temps à découvrir. La guerre des Six Jours avait eu lieu en juin 1967. Toujours par curiosité, je m'étais rendu au rond-point des Champs-Elysées, là où se trouvait l'Ambassade d'Israël. Les partisans de l'Etat juif avaient appelé à un rassemblement de soutien devant l'Ambassade. Je fus sidéré de voir une foule où beaucoup hurlaient leur haine du général de Gaulle parmi lesquels se distinguaient les pieds-noirs rentrés d'Algérie ! Une foule littéralement hystérique (un peu comme celle que l'on voit en ce moment en Israël luttant contre l'évacuation de la bande de Gaza, et commençant à crier sa haine de Sharon !). De Gaulle, en 1958, avait très bien accueilli Ben Gourion à Paris, et là, neuf ans plus tard, je voyais plusieurs milliers de juifs protester vivement contre l'embargo sur la vente des armes décrété par de Gaulle. Celui-ci, au cours d'une fameuse conférence de presse, avait dénoncé "le peuple juif, un peuple d'élite, sûr de lui et dominateur", et cette phrase terrible (à entendre pour les Juifs) avait provoqué une rupture entre le Général et les partisans d'Israël - à tel point que Raymond Aron, le type même du grand bourgeois juif français, réputé "gaulliste" rompit là avec de Gaulle allant jusqu'à parler "d'un coup de poignard dans le dos" ! Quelques mois plus tard, dans le Quartier Latin, j'ai repéré parmi les manifestants des jeunes qui ressemblaient beaucoup à ceux que j'avais vus devant l'Ambassade d'Israël, et souvent d'ailleurs ces jeunes "bourgeois" étaient les fils et les filles de grands commerçants parisiens. Ceux-là criaient avec détermination :" Dix ans ça suffit, de Gaulle au musée" et avec quelle joie ils criaient, et moi avec eux, l'imbécile ! :" Nous-sommes-tous-des-juifs-allemands !". Il y avait, à coup sûr, dans le Quartier Latin des effluves d'inspiration juive avec Herbert Marcuse, Wilhem Reich, les "revenants" Marx et Trotski, dont les adeptes nous rejouaient chaque soir un épisode d' "Octobre 17"... Reste l'énigme des "maoistes". Pourquoi des "maoistes" dans le Quartier Latin à Paris en 1968 ? Il me semble que les jeunes juifs d'origine pied-noir (sépharades) ne pouvant être ni communistes ni trotskistes (d'obédience européenne ashkenaze) du fait de leur anti-communisme (anti-soviétisme) viscéral, avant tout anti-gaullistes (dans le prolongement de l'Algérie) trouvèrent leur exutoire idéologique dans un "maoisme" purement verbal qui leur permettait d'être à la fois anti-gaulliste et anti-soviétique (les "révisos" !). En Israël aussi l'opposition est très nette entre sépharades et ashkenazes ! Ce sont vraiment deux mondes juifs séparés, idéologiquement et politiquement. Il en était de même en France, et Mai 68 les sépara dans une double démence (extrémisme), que l'on retrouve dans toute l'histoire du monde juif, notamment en 1917, en Russie, entre "soviétiques" et "sionistes". Voilà ce qui, à mon avis, explique le caractère irrationnel de Mai 68 qui surprend encore aujourd'hui les témoins comme les historiens, je dis irrationnel mais en fait, l'excès anti-gaulliste (que l'on s'efforce d'occulter aujourd'hui : ça n'était qu'une "fête printanière" !) avait pour origine cette participation que l'on peut qualifier d'exotique par rapport au mouvement social classique (avec ses partis et ses syndicats marqués par le socialisme et le communisme européens). Les pieds-noirs, dont beaucoup avaient réussi leur intégration en métropole, et fait fortune dans le (grand) commerce de la société de consommation, voyaient avec plaisir leurs enfants manifester contre de Gaulle dans un esprit de revanche. Si l'on se souvient que l'OAS avait programmé l'attentat du Petit-Clamart contre de Gaulle au moment où le million d'Européens d'Algérie allait gagner la métropole (dans l'espoir d'y trouver là une base populaire activiste) et que les partis de la IVe République escomptaient renvoyer de Gaulle à Colombey et que celui-ci, voyant venir le coup, instaura l'élection du Président de la République au suffrage universel, l'on peut dire que cette offensive musclée contre de Gaulle eut lieu en 1967-68, et qu'elle fut l'oeuvre à la fois de la "gauche" et de la droite extrême à laquelle se rallia la droite "classique" (giscardienne, et sans doute pompidolienne). Le cocktail explosa au mois de Mai, et l'on peut qualifier ce puissant mouvement "d'attentat de Petit-Clamart" réussi.

Gabriel Enkiri - De Gaulle fut donc, selon vous, assassiné en 1968 ?

Réponse - Oui ! Assassinat politique, mené de main de maître par tous ceux qui en avaient assez du Général, notamment par ceux qui voulaient réintégrer la France dans le camp atlantique anglo-américain. Cela fut fait, dès 1971, lorsque les "centristes", champions de l'atlantisme, exigèrent de Georges Pompidou qu'il accepte l'adhésion de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun...


















16ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Regrettez-vous d'avoir participé à Mai 68 ?

Réponse - Non, certainement pas. En ce qui nous concerne, nous les salariés, je puis en témoigner chez Hachette, nous avons obtenu une substantielle augmentation de salaires, et surtout, l'atmosphère dans l'entreprise en fut littéralement transformée. Je me souviens que, à la reprise du travail trois semaines plus tard, nous avons solennellement déclaré devant le personnel réuni :" Plus rien ne sera comme avant !". Et ce fut vrai. Les responsables de l'entreprise nous regardaient avec un mélange d'admiration et de crainte. A la fin de la grève, il nous fallut choisir entre l'adhésion à un syndicat, ou rester en dehors. La CGT nous faisait évidemment les yeux doux :" Venez chez nous, disaient-ils, l'union fait la force !". Le petit groupe de militants maoistes, décidément stupides, s'en montraient les plus ardents partisans ! Ils brandissaient les statuts de la CGT en expliquant "qu'il y avait marqué dessus qu'elle pratiquait la lutte des classes" (sic). C'était à mourir de rire. Malheureusement, cette conjonction incita à voter en assemblée générale le ralliement à la CGT. J'étais plutôt partisan de créer une section CFDT, la CFDT nous laissant, me semblait-il, plus de liberté. (Il y avait au Boulevard - le siège de la Librairie - une section CFDT-cadres qui n'avait pas tellement envie de nous voir arriver). Je m'inclinai devant le vote majoritaire, convaincu que cela ne durerait pas longtemps. En effet, lors de l'élection des délégués du personnel - il y avait alors de nombreux syndiqués - j'arrivai en tête des élus choisis par la base, suivi par deux autres copains de l'ex-comité d'action ! Les "vieux cégétistes" faisaient la gueule : ils n'en revenaient pas de voir leurs dirigeants supplantés par ces nouveaux venus ! Certains d'entre eux vinrent me demander de laisser ma place à leurs dirigeants - que "tout le monde connaissait dans l'entreprise" ! Pas d'accord, répondirent les jeunes, l'élection a eu lieu à bulletins secrets ! Et toute la liste fut présentée telle quelle, et brillamment élue !

Gabriel Enkiri - Est-ce que la fièvre est vite retombée ?

Réponse - Non. Elle a perduré, disons, jusqu'en 72-73, en diminuant évidemment d'intensité. Toutefois, le feu couvait sous les braises. Nous avions eu la visite de nombreux gauchistes, pendant et après les événements, des étudiants, des militants "trotskistes" de toutes obédiences qui venaient à la "pêche" : le "comité Hachette" les faisait saliver ! On a même vu Jean-Luc Godard débarquer à Cévennes avec sa camescope qu'il avait ramenée du Japon ! Il nous filma en direct, et sa pellicule passait en boucle dans la librairie de François Maspéro, le "temple" du gauchisme, en plein Quartier Latin ! Nous-mêmes étions invités à des réunions un peu partout, aux NMPP où la CGT exerçait un pouvoir monopolistique, et où certains de ses militants projetaient de s'en extraire pour créer, peut-être une section CFDT... Avec ceux de l'ORTF, on avait créé un comité "Hachette-ORTF" qui tint un meeting, rue de Rennes. Et très vite, ce qui devait arriver, arriva : la CGT demanda mon exclusion ! Au cours d'une réunion mensuelle des syndiqués, où mon exclusion était à l'ordre du jour pour "incompatibilité" (on ne me faisait aucun reproche ! Aucun procès ! Tout le monde a senti que c'était un "état d'esprit", celui de Mai 68, que le dirigeant "stalinien" voulait expulser de "son" syndicat). Lorsque la sanction tomba, dans un silence pesant :" On est désolé, mais on est obligé de se séparer", je sortis, suvi par les 3/4 de la salle ! Tous avaient compris, même les "maos" !, qu'il n'était plus possible de continuer ensemble, et nous créâmes immédiatement une section CFDT, cette fameuse section CFDT Hachette... qui allait défrayer la chronique... à la CFDT !

Gabriel Enkiri - La CGT a dû s'en mordre les doigts !

Réponse - Oui et non, car nous étions des partisans de l'"unité d'action"; on ne pouvait agir chez Hachette que dans l'unité syndicale. Et d'ailleurs, peu après, en mars 69, nous déclenchâmes à Cévennes-Javel une grève bien plus dure que l'année précédente, avec occupation des locaux. Elle dura une semaine, et fut d'une grande intensité; la direction paniqua parce qu'elle venait d'informatiser sa distribution et les ordinateurs se trouvaient dans une grande salle à Cévennes ! Après une semaine d'occupation, la direction capitula en rase campagne. Nous obtenions tout ce que nous demandions : un 14e mois, l'échelle mobile des salaires, une cinquième semaine de congés + quelques broutilles ! Le personnel n'en revenait pas, et aujourd'hui encore les anciens se souviennent de "cette grande époque" qui nous rapporta tant chez Hachette. Cette fois, c'est du côté de la CFDT que l'on commença à se méfier de nous. Je fus convoqué au Siège de la CFDT, square Montholon, et le secrétaire général, Eugène Descamps, un brave type, nous fit la morale :" Nous sommes des syndicalistes, rien que des syndicalistes". Et politiquement, la CFDT avait découvert "l'autogestion à la yougoslave" ! Puis, en 1970, le nouveau secrétaire, Edmond Maire, au Congrès de la Confédération, imprima un virage à l'égard des "gauchistes". C'était quasiment le "double" de Michel Rocard, "mendesiste" comme lui. On sentit que la "gauche du mouvement" rentrait dans le rang. Déjà, en 1968, en pleine grève, lorsque Mitterrand annonça sa candidature à la succession de de Gaulle, celle-ci ne rencontra aucun écho dans les cours des entreprises occupées. Je me souviens des réflexions moqueuses du type "il s'y croit déjà celui-là, quel culot !". En revanche, Mendès France, au stade Charlety (en face de la SNECMA !) avait obtenu un beau succès auprès des militants de la "deuxième gauche" rocardienne. Une sérieuse bataille s'engageait entre Mendès France et Mitterrand pour le leadership à gauche. On sait que c'est Mitterrand qui l'a emporté en 1974, contre Mendès, puis en 1981 contre Rocard.

Gabriel Enkiri - Après cette grève "victorieuse" de mars 69, quelles pouvaient être vos revendications ?
























17ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Réponse - De Gaulle parti, Pompidou élu en 1969, la situation fut politiquement dominée par la mise en place d'une opposition de gauche susceptible de l'emporter à la prochaine présidentielle (1974). Cela, je l'avoue, ne nous intéressait pas beaucoup. On pensait les partis classiques disqualifiés. Chez Hachette, l'année 70 fut l'année de la rupture avec Gallimard. Le fonds Gallimard, si prestigieux, et tellement rentable avec ses ouvrages publiés en "livres de poche", une exclusité Hachette ! Jusqu'au bout, les patrons refusèrent d'y croire. Mais Claude Gallimard en avait assez de dépendre du bon vouloir de la "pieuvre". Il y avait de la rébellion dans l'air, c'est sûr, contre la "vieille dame" du Boulevard ! "Claude Gallimard se fait des illusions, il perdra plus qu'il n'y gagnera à se distribuer lui-même. Il fait du chantage à l'expiration de son contrat, c'est de bonne guerre". Et pourtant, il fallut s'y résoudre : Gallimard installa son centre de distribution, la SODIS, à Lagny, et son départ, avec ses filiales, créa un (grand) vide dans la maison. Bientôt Claude Gallimard allait créer sa propre collection de poche : la collection Folio. Hachette se sentit vulnérable...
J'avais fait la connaissance, pendant les "événements", parmi ceux qui venaient nous "visiter" d'un jeune écrivain-journaliste, Jean Contenay (de son nom de plume Philippe Gavi, aujourd'hui au Nouvel Observateur). Il écrivait un livre sur les "Ouvriers", et je lui fis rencontrer un certain nombre d'employés de Hachette à Cévennes, qui étaient d'anciens ouvriers absolument typiques, et qui avaient beaucoup à raconter sur leur vie, tel Georges Martigny, l'un de mes meilleurs soutiens à la CFDT. C'était vraiment un prolo, qui parlait avec son coeur et ses tripes (il figure en bonne place dans le livre de Gavi). Ce livre parut au Mercure de France, dans la collection "en direct" dirigée par Jacques-Pierre Amette (qui a obtenu le Goncourt il y a deux ou trois ans). Contenay me suggéra d'écrire une autobiographie, le récit d'un militant, ce que je fis, et mon livre parut en 1971 dans la même collection "en direct" sous le titre "Militant de base". Amette était ravi, l'Express allait en publier des "bonnes feuilles", et puis soudain le "grand hebdo de gauche" lui fit savoir qu'il n'en était plus question. "Ce livre dérangeait l'union qui était en train de se bâtir"... Cela ne me fit ni chaud ni froid. Mais l'année suivante, des militants "maoistes" qui avaient créé une petite maison d'édition (les éditions Gît-le-coeur) me proposèrent d'écrire un livre... sur Hachette ! Ce petit livre, à la couverture verte (la couleur emblématique de la maison, sans doute à cause de la "bibliothèque verte" qui avait connu un énorme succès au fil des ans) parut en 1972. Il obtint, lui aussi, un succès "fabuleux"; nous en vendimes plusieurs centaines à l'intérieur de l'entreprise, mais ce qui est sûr, c'est qu'au siège de Gît-le-coeur, le livre qui s'appelait tout simplement "Librairie Hachette" et, en sous-titre "Hachette-la-pieuvre, témoignage d'un militant CFDT", attira de nombreux acheteurs, éditeurs, libraires, journalistes etc. Les militants improvisés éditeurs en firent un second tirage, et ils en vendirent au moins 10.000 exemplaires ! Toute la profession en prit connaissance, et sans doute de nombreux politiciens, car Jacques Chaban-Delmas, qui est Premier Ministre de Pompidou, a pour principaux collaborateurs à Matignon Jacques Delors, Simon Nora, Ernest-Antoine Seillière, Patrick Peugeot, Gérard Worms entre autres. Et soudain, coup de tonnerre dans l'édition, Boulevard St-Germain, Simon Nora, Gérard Worms et Patrick Peugeot passent directement de Matignon... chez Hachette ! Tout le monde comprend que Chaban-Delmas place ses hommes à la tête du trust en vue de préparer sa candidature à la prochaine présidentielle. Ça tangue sur le boulevard ! Giscard d'Estaing est furieux, lui aussi vise l'Elysée. Un procès menace Simon Nora et Gérard Worms car la loi interdit le passage direct des hauts fonctionnaires dans le privé. Pompidou contraint Chaban à démissionner, et le remplace par Pierre Messmer. La presse, notamment Le Monde et le Parisien d'Emilien Amaury, remet en cause la toute-puissance d'Hachette aux NMPP, les journaux tentent d'obtenir une réduction de la remise prélevée par la "pieuvre". Jean Bardon, le puissant patron des Messageries, est sur la sellette. C'est alors qu'une équipe de dirigeants recrutés à l'extérieur, et qui n'a aucune connaissance de l'édition, va tenter de me licencier ! On m'a muté dans un service isolé, où l'on me donne à faire un travail inintéressant et répétitif. Le coup est classique. Naturellement je refuse de le faire. Et les voilà qui annoncent qu'ils vont me licencier ! Les inconscients ! Je suis délégué syndical, délégué du personnel et membre du comité d'entreprise..

















18ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - On a quand même l'impression qu'il s'agit d'un combat inégal ! "La lutte du pot de terre contre le pot de fer". Aviez-vous conscience de votre vulnérabilité, d'un combat perdu d'avance ?

Réponse - Oui et non. Il faut bien se remettre dans le contexte de ces événements immédiatement postérieurs à Mai 68. La contestation n'était pas morte, dans certains secteurs elle demeurait même très active : la magistrature, la presse, l'édition, l'Eglise... A ce propos, je veux souligner combien la présence à mes côtés d'un militant, venu de la CGT, François Marchand, qui était lui aussi un "ancien prêtre" (en réalité, il l'est toujours, d'une manière très singulière sans doute) a consolidé notre action syndicale. Nous formions un tandem du tonnerre, et bien des grèves furent menées, pourrait-on dire, grâce à notre extraordinaire complicité agissante... Tel était le climat lorsque se déroula, boulevard St Germain, la bataille opposant un petit "militant de base" à la pieuvre, cette pieuvre "effrayante" dont parle Victor Hugo dans les "Travailleurs de la mer". J'ai repensé à ce procès lors du licenciement de Daniel Schneidermann, au Monde. A lui aussi la direction du "grand quotidien du soir" lui reprochait d'avoir dénigré son employeur dans un livre ou dans ses articles où il demandait tout simplement que les dirigeants du quotidien répondent sérieusement au fameux livre-accusateur de Péan-Cohen "La face cachée du Monde - Du contre-pouvoir aux abus de pouvoir", paru chez Fayard. La lettre de Jean-Marie Colombani, publiée dans le supplément "télévision", lui annonçant son licenciement, m'a littéralement sidéré. On y décelait l'assurance et la prétention du Prince-Président, du Maître du Monde (c'est le cas de le dire) qui rappelaient la même morgue et la même suffisance des Princes qui gouvernaient Hachette. Il avait commis comme moi le crime de "lèse-majesté". Je suis heureux que les prud'hommes lui aient donné satisfaction, en condamnant l'arrogance d'une direction qui a causé beaucoup de tort à la réputation d'un journal que nous avions, jusque là, plaisir à lire.

Gabriel Enkiri - Ce procès vous l'avez donc gagné ?

Réponse - Ce fut un grand moment ! Protégé par mes mandats syndicaux, la direction était donc contrainte de saisir le Tribunal d'instance du 6e arrdt, Place St-Sulpice. J'ai bénéficié de l'assistance d'un grand avocat, M° Pierre-Edouard Weill, l'avocat de la CFDT. Il fut tout simplement excellent, et je tiens à lui rendre hommage, à lui et à son fils Jean-Louis, également avocat (qui nous défendit vaillamment dans une autre bataille (dont je reparlerai plus loin). Le jour de l'audience, la salle était bondée : tous les militants de l'édition y assistaient, ainsi que plusieurs journalistes, y compris la télé ! Les dirigeants de Hachette, défendus par le propre avocat du CNPF, se tenaient au premier rang, très sûrs d'eux. Notre avocat, fort calmement, et avec ironie, n'eut aucun mal à "semer le doute" dans l'esprit de la Présidente du Tribunal. "Le doute suffira, me dit Pierre-Edouard Weill". Et le contexte politique nous était favorable. Naturellement, je m'étais "décarcassé" auprès des amis rencontrés dans la presse. Au Monde bien sûr, où Gilbert Mathieu, responsable de la rubrique sociale - que j'avais connu auparavant dans le 13e arrdt, au temps de la "Nouvelle Gauche" - me dit :" Tu as de la chance, une fenêtre vient de s'ouvrir, et je vais pouvoir en profiter pour parler de toi ! Jacques Sauvageot (le directeur du journal) est de ton côté, il apprécie ton combat. il mène lui aussi la guérilla contre Hachette aux NMPP. Ils ont fait une connerie en se mettant au service de Chaban, et Simon Nora est dans un fauteuil éjectable.. Dis-toi bien que la fenêtre ne restera pas longtemps ouverte !". Il se fendit donc d'un papier dans le journal. Mais c'est au Canard Enchaîné que la salve, tirée deux semaines de suite, contre la "pieuvre" - de longs articles que nous affichâmes partout chez Hachette, en plus des nôtres ! Des affiches qui étaient littéralement "dévorées" par le personnel ! - fit le plus de dégâts ! Nous nous payâmes le luxe d'afficher dans les couloirs de l'imposant bâtiment de la rue Réaumur : "Simon Nora quittera Hachette avant Gabriel Enkiri !" Et ce fut le cas ! Lorsque le jugement fut rendu, des applaudissements nourris éclatèrent, et je revois les représentants d'Hachette s'enfuir en courant vers le Boulevard St-Germain, défaits et désarçonnés, annoncer la triste nouvelle à la Direction. Quelques jours plus tard, le comité d'entreprise était réuni en séance extraordinaire, et le PDG, le marquis Ithier de Roquemaurel (le neveu de Meunier-du-Houssoye, l'ancien PDG de la famille Hachette), le dernier membre de la famille à diriger Hachette (il sera bientôt remplacé par un certain Marchandise, imposé par la banque, qui finira par vendre le tout à un certain... Jean-Luc Lagardère !) annonça solennellement qu'il renonçait à me licencier, que "tout cela était un malheureux malentendu". Et moi, qui attendais dehors, je vis sortir de la grande salle, le brave directeur du personnel, Monsieur Roy, la main tendue :"C'est terminé, me dit-il, d'un air véritablement soulagé. "Tout recommence comme avant, on efface tout !". C'est bien volontiers que je lui serrai la main, mon (fameux) sourire aux lèvres.
Quelque temps plus tard, Simon Nora était "démissionné " de son poste de "Directeur Général"....

















19ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Est-ce que l'élection de Giscard d'Estaing en 1974 a inauguré une nouvelle période ?

Réponse - A première vue, non. Et cependant, comme on va le voir, si ! De tout temps, les patrons de cette formidable puissance (NMPP-HACHETTE) ont vécu en symbiose avec le pouvoir politique. Ainsi, le puissant patron des NMPP, Guy Lapeyre, "centriste"et anti-gaulliste invétéré, avait-il soutenu et entretenu la candidadure de Lecanuet (et sans doute celle de Mitterrand) contre de Gaulle en 1965. Il fut limogé par Meunier-de-Houssoye qui tenait à rester en bons termes avec le pouvoir (son principal client !). Pompidou, qui avait publié un recueil de poésie chez Hachette, était plutôt bien vu en "haut lieu". Là, cette fois, il y avait eu un dérapage avec Chaban, et on peut penser que Giscard, que l'on sait rancunier, a favorisé et hâté l'élimination de la "famille" par la banque, et in fine, en 1980, veille de sa "réélection", livré Hachette à Jean-Luc Lagardère, le patron de Matra, qui lui était acquis. Cette fusion, somme toute, était logique, et bien souvent, on avait évoqué, lors de réunions, l'inévitable assemblage d'un grand média associant l'audio-visuel à l'écrit. Pour moi, Hachette ne pouvait avoir qu'un avenir multimédia, du fait de l'omnipotence télévisuelle grandissante. L'image était en train de détrôner l'écrit... Mais la victoire de Mitterrand en 1981 créa un (léger) flottement, vite surmonté (j'en reparlerai plus loin).
Le grand tournant, dans ce dernier tiers du siècle, venait de se produire avec le 1er choc pétrolier, consécutif à la guerre du Kippour, en octobre 1973. Là encore, l'élection de Giscard au printemps 74 coïncidait avec cette nouvelle donne : nous entrions dans l'ère du chômage de masse, la fin de ce que l'on appelle les "trente glorieuses". A chaque rentrée, en octobre, nous avions rendez-vous avec la direction pour discuter des salaires, et chaque fois nous tentions de mobiliser le personnel pour soutenir la négociation. 73-74 sonne la fin de la "mobilisation", le personnel assistait de moins en moins aux réunions syndicales, et les augmentations se réduisaient à des clopinettes. Le contexte s'était retourné, et s'avérait dissuasif pour la revendication. En 1975, en accord avec François Marchand, je donnai ma démission de Hachette. Je n'avais rien à espérer dans la maison : j'étais complètement "grillé" ! Je suis parti en me disant que j'allais facilement retrouver du boulot, dans une autre maison d'édition, moins importante où je pourrais peut-être faire autre chose que du syndicalisme désormais voué à l'échec, en raison de ce chômage croissant et spectaculaire ("La France n'a pas de pétrole, mais elle a des idées !"). Malheureusement, j'étais, comme on dit, marqué à l'encre rouge. Un camarade de la CFDT de chez Larousse m'a dit :" Il serait plus facile de faire entrer Cohn-Bendit chez Larousse que Gabriel Enkiri !". Je précise qu'il s'agit du Cohn-Bendit de Mai 68, et non du représentant de commerce bruxellois de 2005 !
J'ai donc connu un certain répit, avec ma compagne et mes deux petites filles... jusqu'en 1977. Cette année-là m'offrit l' occasion de livrer une ultime bataille, tout à fait imprévue, contre la redoutable "pieuvre". Le secteur des Bibliothèques de gares (qui ont changé de nom depuis ! Elles s'appellent Relay - tout comme la fameuse couleur verte recouvrant les murs dans l'entreprise s'est muée en... bleu océan !) comptait environ 1200 points de vente tenus par des salariés d'Hachette, dénommées gérantes (à 90% c'était des femmes) et ces gérantes-salariées recrutaient des vendeuses, selon les horaires d'ouverture et la dimension des dits points de vente (certains étaient de grosses affaires - dans les grandes gares et les aéroports notamment), et ces vendeuses curieusement n'étaient pas des salariées d'Hachette... mais des salariées des salariées-gérantes ! Etrange statut (profitable à Hachette qui datait de Vichy - la loi du 21 mars 1941 -, concoctée par un représentant de la maison dans le gouvernement du Maréchal, dûment incorporée dans le Code du Travail !) qui excluait 1200 vendeuses du personnel de l'entreprise. Or celles-ci étaient bien payées par Hachette : la gérante salariée percevait une PFV (participation aux frais de vente) équivalant au smic, la gérante devant impérativement rédiger le bulletin de paye en son nom (cachet de la bibliothécaire à l'appui) et non, bien sûr, au nom d'Hachette ! Evidemment, on imagine le coût de leur intégration dans la maison (salaires Hachette + convention collective). Depuis des lustres, les responsables de la CFDT des gares, dont Bernard Marchais, qui habitait à Cusset, près de Vichy !, luttaient pour l'intégration des vendeuses, avec des bibliothécaires syndiquées à la CFDT, déléguées du personnel représentant les agentes, mais pas les vendeuses ! Ces militants de province furent heureux d'avoir une section syndicale CFDT à Paris, d'autant que nous étions bien implantés dans le secteur des "BB gares" à Cévennes-Javel. La CGT, bien que non représentée dans le secteur, soutenait cette "juste" revendication.
Gabriel Enkiri - Les gérantes-salariées étaient-elles vraiment solidaires des vendeuses ? Ne se comportaient-elles pas comme des "patronnes", tel que le souhaitait Hachette ?
Réponse - Cela arrivait, particulièrement dans les gros postes, où l'agente pouvait avoir jusqu'à 7 ou 8 vendeuses (rarement des vendeurs). D'autre part, l'agente travaillait souvent en famille (mari, enfants...). Mais l'agente étant responsable financièrement de l'exploitation du poste, il était fréquent, au bout de quelques années, qu'Hachette lui réclame le remboursement du "découvert", un "découvert" parfois considérable, qu'elle ne pouvait évidemment pas rembourser. Cette situation engendrait des drames, au moment de la fermeture du poste, ou d'un départ à la retraite, ou tout simplement d'un changement d'agente. Le syndicat les exhortait à refuser de payer, et cela s'achevait devant les tribunaux. La "bataille des gares" était avant tout une bataille juridique, donc longue, difficile et coûteuse : il fallait faire voter une nouvelle loi qui remplacerait celle du 21 mars 1941 ! Depuis 1968, l'air du temps aidant, les tribunaux, de plus en plus, rendaient des jugements favorables aux agentes et aux vendeuses. Naturellement, chaque fois qu'elle perdait, Hachette faisait appel, et l'appel infirmait le jugement rendu en première instance !
Ce qui est sûr, c'est que la bourgeoisie n'étant plus en mesure de faire du social, elle se mit à faire du "libéralisme". C'est toute l'intelligence de Giscard d'Estaing de l'avoir "compris" (même s'il a échoué en 1981, par sa faute dois-je dire, on en reparlera). En somme, il fallait "moderniser", adapter la société, effectuer une "mise à jour". D'où l'abaissement de la majorité à 18 ans, la loi sur l'IVG, la promotion des femmes etc. Le secteur des Bibliothèques de gares (un secteur féminin s'il en est, et poussiéreux !) offrait un espace de prédilection pour affirmer l'aggiornamento giscardien.
En 1975, à la surprise générale, un arrêt de la Cour d'Appel nous donnait entière satisfaction ! Il faut dire que l'avocat-général n'était autre que Martin Kirsch, un spécialiste du droit du travail... en Afrique, proche collaborateur de Giscard d'Estaing à l'Elysée. L'arrêt était clair et sans bavure :" Hachette est le véritable employeur des aide-vendeuses, la bibliothécaire n'étant que l'employeur apparent, même si par délégation de celui-ci, elle embauchait, contrôlait, rémunérait, licenciait, ces actes ayant lieu sous le contrôle permanent de l'employeur". Chez Hachette on ricanait :" Il se croit encore en Afrique, et confond les vendeuses avec des indigènes !" Naturellement, la Direction introduisit un pourvoi en cassation, où elle comptait bien avoir gain de cause. C'est alors que me vint l'idée de publier un journal, un mensuel qui serait distribué par les NMPP (la loi l'y obligeait) et qui serait essentiellement consacré aux Bibliothèques de gares ! Nous étions en 1977 - j'étais sans boulot. En 1974, nous avions déménagé de Belleville à Chevilly-Larue, une commune sur laquelle sont situés les 3/4 du Marché de Rungis. Aux municipales de 1977, la gauche enregistra une forte poussée dans tout le pays, de nombreuses villes de "droite" (Angers, Reims, Le Mans etc.) élirent des maires socialistes, voire communistes ! A Chevilly-Larue, la liste d'union de la gauche - où je figurais comme socialiste (je venais d'adhérer au PS, tendance CERES (de Jean-Pierre Chevènement) en pensant que s'il venait au pouvoir, il serait plus facile d'exposer le problèmes des BB Gares) fut élue, mais je l'avoue, j'étais entièrement pris par le conflit dans les gares - et ici j'en profite pour dire que le PS, à Chevilly-Larue, était composé essentiellement d'enseignants et de fonctionnaires, un monde à part, fort loin des préoccupations du "populo" - comme on en aura confirmation le 29 Mai dernier avec la victoire du NON au referendum. Un jeune apparatchik du PC, plutôt sympathique (secrétaire parlementaire de Charles Fiterman), Guy Pettenati, fut élu Maire de la commune. C'est à cette occasion qu'il me remit une lettre de Charles Fiterman me disant "que je pouvais revenir au parti quand je voulais". Le secrétaire du comité central était conseiller général du coin (il sera élu député de la circonscription en 1978).














20ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Gabriel Enkiri - Qu'avez-vous répondu à Charles Fiterman ?

Réponse - Je venais d'adhérer au PS ! Et puis les deux partis avaient conclu un "programme commun". Ce qui m'intéressait, encore une fois, c'était gagner la nouvelle "bataille du rail" ! J'ai donc publié Offensive (pour changer la vie) en 1977. Il en est paru 5 numéros ! C'était un quatre pages mensuel qui titrait à la Une "Hachette condamné !" Le journal étant distribué par les NMPP, le journal arrivait dans toutes les gares, et certaines agentes l'affichaient devant leur boutique. Les inspecteurs d'Hachette faisaient la gueule !
Une déléguée CFDT des BB Gares, au métro République, Mireille M..., également secrétaire du comité d'entreprise du département, n'avait plus de vendeuse. Je lui fis alors cette proposition inouïe :" Embauche moi comme vendeur, et fais-le au nom d'Hachette !" Le syndicat national CFDT approuva cette intitiative (qui pouvait faire avancer les choses) l'arrêt Kirsch nous étant favorable. Nous étions allés voir en délégation Françoise Giroud, Secrétaire d'Etat à la condition féminine, avec le syndicat FO (mon camarade François Marchand, après mon départ chez Hachette, avait créé une section FO). Elle nous fit recevoir par son directeur de cabinet, qui se montra très "réceptif". Quelques jours tard, François Giroud nous faisait parvenir un double de la lettre qu'elle venait d'adresser à Marcel Cavaillé, Secrétaire d'Etat aux Transports (le département des gares dépendait de ce Ministère). Elle lui demandait d'accueillir "avec la plus grande attention la démarche des organisations représentatives défendant les intérêts de ces personnels". Cette lettre fit un certain bruit chez Hachette ! "De quoi se mêle-t-elle, celle-là" s'exclamait-on dans les couloirs. Il faut se rappeler que JJSS avait dénoncé violemment en 1974 le passage de Nora et de Worms chez Hachette en provenance de Matignon. ( Il savait qu'Hachette envisageait de lancer un hebdomadaire - Le Point - contre l'Express avec des dissidents de son journal !).
Aux Transports, l'Inspection du travail s'engagea devant notre intersyndicale à réunir toutes les parties concernées afin d'élaborer un nouveau statut, valable pour tout le personnel, sans exception. Des conflits éclataient dans les gares parisiennes (gare de l'Est, gare du Nord, Austerlitz où l'inspecteur du travail, M. Ortin, se révélait être un allié efficace). Lors du licenciement d'une agente, gare du Nord, on parvint à organiser une petite manifestation devant le point de vente, avec l'écrivaine Marie Cardinal à nos côtés ! Apercevant Jean-Pierre Chevènement, sur les quais de la gare de l'Est, en partance pour Belfort, je lui remets un dossier qu'il étudiera avec soin, et il adressera, lui aussi, une lettre (presque parfaite) à Aimé Paquet, le médiateur de la République. J'avais naturellement remis des dossiers identiques à Charles Fiterman, et à Jack Lang, alors conseiller municipal à Paris.
Le 2 janvier 1977, Mireille M. m'embaucha comme vendeur " par délégation et pour le compte de la Librairie Hachette, au salaire et aux horaires imposés par celle-ci" , selon la formule des tribunaux. On fit fabriquer un cachet, superbe, avec en-tête "Librairie Hachette, Bibliothèques des Gares" et à la fin du mois, Mireille apposait ce cachet sur mon bulletin de paie ! Evidemment, l'objectif était de tenir un an, délai nécessaire pour me nommer délégué syndical de la section des vendeurs-vendeuses d'Hachette ! Nul n'en savait rien chez Hachette, mais... tout finit par se savoir ! L'inspecteur d'Hachette, M. Balland, rentra rue Réaumur, tout agité : "Devinez qui j'ai vu au Métro République ?" . Immédiatement, ce fut le branle-bas de combat. Les avocats de la CFDT (M° Jean-Louis Weill) avaient prévenu Mireille : elle devait s'attendre à un clash avec Hachette du fait qu'ils feraient tout pour se débarrasser de son vendeur indésirable ! Ne pouvant le licencier - ils se garderaient bien de commettre une telle erreur alors que leurs avocats s'acharnaient à démontrer (en vain d'ailleurs) devant les tribunaux que l'agente "avait toute liberté en matière d'embauche, de licenciement et de conditions de travail" - en raison de leur impuissance juridique à mon égard, tout le poids des pressions retomberaient sur elle : il lui faudrait tenir fermement sous le choc...
Je l'ai dit : en mars 1977, la gauche remporte un véritable triomphe aux municipales, le PC et le PS ont signé un "programme commun", les sondages la donnent gagnante aux élections législatives de 1978... Allons-nous remporter cette nouvelle "bataille du rail" ?




















21ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - N'avez-vous pas l'impression de surestimer votre rôle, l'impact de ce "mouvement", somme toute, négligeable ?

Réponse - Evidemment, ça nest pas Renault, ni la SNECMA, encore moins une grève des chemins de fer ! C'est le type même du conflit occulté par la forces choses. Dispersé, quasiment pas syndiqué, fatalement il repose sur quelques individus, qui sont hyper-motivés, et qui tentent de valoriser le "mouvement" en le magnifiant, au sens propre du terme. Il ne peut s'agir, en aucune manière, d'un mouvement de masse. D'autant, qu'en l'occurence, le résultat est suspendu à des décisions de justice, qui ne sont pas rapides comme on sait. Tout au long de l'année 1977, les tribunaux ont rendu des jugements qui nous donnaient satisfaction. De toute évidence, le contexte politique - montée de la gauche qui laissait entrevoir son succès l'année suivante - soufflait dans le bon sens. Les pressions sur Mireille M. n'en furent que plus lourdes. Elle était de santé fragile, et j'avais des scrupules à l'utiliser ainsi. Il me fallait chaque jour lui remonter le moral. Surtout lorsque vint le temps de la réaction patronale, et la menace de licenciement. Elle fut naturellement bombardée de "lettres recommandes" puis convoquée par la Direction :"Licenciez donc Monsieur Enkiri ! - C'est à vous de le faire ! rétorque Mireille - Vous savez bien qu'on ne peut pas le licencier !
En mars, nous dénichons un jeune vendeur en Gare de l'Est, qui a un an d'ancienneté, Alain V... Je parviens à le convaincre qu'on le nomme délégué syndical pour le personnel vendeur. Il est nommé par la Fédération CFDT des Services. Naturellement Hachette saisit le Tribunal d'Instance du 6e arrdt (de sinistre mémoire pour elle - mais le Siège de La Librairie Hachette est dans le 6e !). Le Tribunal déboute Hachette et valide le mandat du jeune vendeur ! C'est une victoire, une de plus, qui pourrait être décisive. Mais Hachette connait les lenteurs de la justice. Evidemment, j'alerte la presse par des communiqués; des journaux militants (trotkistes, et même Le Matin !) viennent nous voir; Jean-Pierre Chevènement saisit le "groupe parlementaire socialiste"; la fédération socialiste de Paris dénonce "un nouvel arbritraire du trust Hachette"; l'hebdomadaire communiste Paris-Hebdo, de la Fédération de Paris, nous consacre une colonne.
Malheureusement, au retour des congés, le jeune Alain, notre délégué syndical, nous annonce qu'il a trouvé du boulot chez lui, en province. Il est herboriste de métier, et rêve d'espaces verts. Il déserte... Mireille craque; je tiens le poste seul, mais Hachette décide de le fermer, et supprime la PFV, c'est-à-dire le salaire du vendeur ! La militante passe outre, et continue à me payer, comme si de rien n'était, y compris mes congés payés. Le point de vente est fermé, puis rouvert. Cette fois, la procédure de licenciement contre Mireille est engagée, mais l'inspecteur du travail, Mr. Ortin, la refuse !
Et le climat politique se dégrade, le PCF et le PS se querellent à propos des nationalisations. Le "programme commun" a du plomb dans l'aile. Le PCF veut nationaliser Hachette, le PS s'y oppose. La victoire n'est plus assurée. Et cela se ressent y compris dans l'enceinte des tribunaux ! Des jugements contradictoires tombent, et redonnent du tonus à Hachette. Il leur suffit de tenir. On menace maintenant Mireille de la poursuivre devant les tribunaux pour détournement de fonds : ne prélève--elle pas le salaire du vendeur sur les recettes du point de vente alors que la PFV (le salaire dudit vendeur) lui a été supprimé ? Mireille se bourre de barbituriques. Je sens qu'elle ne tiendra plus longtemps. Sa vieille mère lui demande d'abandonner, de se retirer en province, "d'oublier tout ça". Avant les fêtes de fin d'année, elle se met en arrêt maladie, et là je comprends qu'elle ne reprendra plus son travail. Le poste fermé n'est évidemment plus approvisionné. Avec notre avocat, on tente encore de demander aux Tribunaux l'inscription des vendeurs-vendeuses sur les listes électorales d'Hachette, mais les juges ne suivent plus. Finalement, Hachette en profite pour détruire le poste, et le refaire à neuf. Je tiendrai quelques jours encore en recouvrant la devanture de grandes affiches expliquant notre combat, qui seront très lues, et qui me rappelleront celles que nous affichions chez Hachette en 73-74... Aurions-nous fait tout cela pour rien ?
La défaite de la gauche en mars 78 met un terme à cette période en trompe-l'oeil : les élections municipales de mars 77 nous avaient laissé croire qu'enfin était venue l'heure de l'alternative. Giscard, à l'Elysée, se préparait à la "cohabitation" avec un gouvernement de gauche. Raymond Barre pouvait ricaner et remercier Georges Marchais qui avait bien savonner la planche. Notre revendication était, paradoxalement, trop politique (il fallait voter une nouvelle loi) pour que l'on y croie encore. Une dernière fois, nous partimes en délégation rencontrer Monique Pelletier, qui avait succédé à Françoise Giroud au Ministère de la Condition Féminine. Elle nous écouta avec beaucoup d'intérêt; cette affaire, à coup sûr, concernait son Ministère. De toute évidence, elle était sur la même longueur d'onde que Françoise Giroud.
Mais on le sait, la "cause des femmes" en France, comme ailleurs, avance lentement !














22ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Cette fois, vous vous être "libéré" d'Hachette !?

Réponse - Hé bien, pas du tout ! Je vous l'ai dit, cette "pieuvre" là, elle vous suit partout !
Après l'échec-politico-syndical de 1978, il me fallait vivre, le plus simple était de me reconvertir. Mais un ami, un ancien de chez Hachette, lui-même ancien syndicaliste, plus ou moins "remercié" par la vieille dame, travaillait pour un petit éditeur de gauche (Savelli). Il faisait de la représentation parmi les libraires réputés "amis". Comme j'estimais que notre expérience ne devait pas être perdue, j'en fis un bouquin "Le scandale Hachette" qui retraçait l'affaire des gares, et nous adressâmes un bon de commande aux bibliothécaires. Plusieurs centaines le commandèrent, mais je voulais faire mieux : le faire distribuer dans les bibliothèques de gares comme je l'avais fait pour le journal Offensive, par les NMPP. Cette fois, c'est Hachette qui avait le monopole de la distribution du livre dans les bibiliothèques, par contrat exclusif avec la SNCF, la RATP etc. Or la loi assure la liberté de l'édition, et donc de sa distribution. Que se passe-t-il lorsque dans ces lieux publics que sont les gares, les métros ou les Aéroports, une entreprise de distribution (privée) dispose du monopole ? Comme on s'en doute, les dirigeants des BB Gares refusèrent de prendre, ne serait-ce que 200 exemplaires du livre ! Les NMPP sont contraints par la loi Bichet de 1947 d'accepter tous les journaux, mais Hachette a tous les droits dans les gares, j'étais bien placé pour le savoir. Ce "problème" intéresserait sûrement un avocat ! M° Henri Choukroun porta donc l'affaire devant le tribunal; je ne me souviens plus, hélas, de la défense d'Hachette, sauf que la demande du petit éditeur fut rejetée .Ont-ils plaidé que le livre ne s'adressait pas au public, mais qu'il relatait un problème interne à l'entreprise ? Qu'il n'avait donc aucun intérêt commercial ? Il faudrait retrouver le jugement chez M° Choukroun (l'éditeur ayant disparu depuis) ! Après la rupture avec Hachette, Claude Gallimard, on s'en souvient avait créé sa propre collection d'ouvrages en format poche dénommée "folio". Alors membre du Comité d'Entreprise, j'avais entendu, de mes propres oreilles, le Directeur de l'Edition déclarer "Il va falloir privilégier le "livre de poche", et donner des consignes à nos inspecteurs qui veilleront à la meilleure présentation de nos ouvrages" (sous-entendu : on ne doit pas "voir" les folios). J'avais fait parvenir le procès-verbal de la réunion du C.E. à Claude Gallimard, et celui-ci m'en remercia vivement :" Ce document va aider notre avocat (M° Kiejman) à régler le litige qui nous oppose à Hachette". Et je crois que tout se termina bien pour Gallimard...
Gabriel Enkiri - Cette fois, Hachette c'est fini ?
Réponse - Pas encore ! Mon ami est recruté par un autre ancien d'Hachette qui, lui, s'est reconverti dans la vente par correspondance de lithos et de médailles anciennes. Ça marche plutôt bien, et je rejoins l'équipe, en attendant des jours meilleurs. C'est ce qu'on appelle un (petit) boulot de dépannage. Et voici que Michel Rocard, de sa Mairie de Conflans-Sainte-Honorine annonce sa candidature à la présidentielle. Les mitterrandiens réagissent, et le p'tit rocard est vite poussé dans les orties.On sent le tournant, et la montée en puissance de Mitterrand; la rupture avec le PC, je l'ai dit, l'avantage. Giscard commet l'erreur de ne pas se débarrasser de son Premier Ministre Raymond Barre six mois avant le scrutin. Rejeté par une opinion qu'il méprise souverainement, Raymond Barre plombe Giscard. Celui-ci est piégé : Barre exerce une sorte de chantage " Ne comptez pas sur moi pour que je prenne des mesures électoralistes" lui dit-il, "j'applique ma politique, et je n'en changerai point". Un autre événement s'est produit : l'attentat de la rue Copernic contre une synagogue. Barre est accusé d'antisémitisme pour avoir dit " même des Français innocents ont été blessés". Giscard, en 1979, pour la première fois, au Sommet de Venise, a reconnu le " fait palestinien" et, au retour de son voyage en Jordanie, une officine fait coller une affiche sur les murs de Paris qui le montre en train de regarder Israël à la jumelle... du territoire jordanien ! Par la suite, on apprendra qu'il s'agit d'un montage. Simone Veil est bousculée lors d'une manif où il lui sera reproché d'appartenir à un gouvernement antisémite ! Depuis le Sommet de Venise, Giscard est déstabilisé. Le scandale des "diamants de Bokassa" n'arrange pas ses affaires. Peut-on parler de "complot" ? Il est certain qu'il est le plus jeune Président de la Ve République, et que son bilan, somme toute, n'est pas catastrophique. A coup sûr, la 1ère partie de son mandat fut plutôt positif, mais le second choc pétrolier (dû à la révolution iranienne de 1979) accroît encore le chômage, et c'est bien contre le chômage que les Français vont voter en 1981, assurant la victoire de François Mitterrand.

Gabriel Enkiri - N'est-ce pas pour vous un espoir d'en sortir enfin ?




















23ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Réponse - Nous sommes heureux, en effet, même si nous ne sommes pas dupes. "Que le PS réalise le 1/3 de son programme, et ça sera déjà bien". En ce qui me concerne, je respire. J'appelle Jacques Sallois (aujourd'hui à la Cour des Comptes, vient d'être nommé Président de Chambre) directeur du cabinet de Jack Lang, nouveau Ministre de la Culture. Il est venu distribuer avec nous, chez Hachette, des tracts du PSU. Sallois me rassure :"Tu peux compter sur moi, je vais faire tout mon possible". Quelques jours tard, je suis reçu par Jean Gattegno, le nouveau directeur du Livre au Ministère. Gattegno est une figure "culturelle" de la CFDT. Il a, naturellement, lu mes livres sur Hachette. "Ça tombe bien, me dit-il, j'ai l'intention de vous confier une "Mission"... sur les Bibliothèques de gares. Qu'en pensez-vous ? Charles Fiterman est justement Ministre des Transports ! Cela devrait vous agréer " fait-il avec un sourire engageant. Je suis ravi, en effet. Plusieurs semaines passent, toujours rien... Au téléphone, je sens Jacques Sallois embarrassé "Ça n'est pas si facile que ça...". Enfin, Gattegno me reçoit :" Hélas, me dit-il, je suis au grand regret de vous dire que la "mission" que j'envisageais pour vous n'est pas réalisable... Vous devinez pourquoi, sans doute ? - Oui, je suppose, ceux d'Hachette sont passés par là ! Gattegno opine :" Jean-Luc Lagardère et Yves Sabouret (l'un des survivants de la famille, apparenté par son mariage) sont venus voir Jack Lang, pour lui dire qu'ils étaient tout à fait disposés à collaborer avec son Ministère. Je suis désolé... Je ne vois pas ce que je peux faire pour vous, fait-il en me raccompagnant.

Gabriel Enkiri - Décidément, la "pieuvre" ne vous lâche pas !

Réponse - Et pourtant, c'est grâce à elle que je vais enfin retrouver une place stable ! En 1983, un ami des NMPP m'appelle pour me dire :" Ils embauchent aux NMPP ! Pose donc ta candidature ! - Tu es fou ! Jamais ils ne me prendront... - Essaie quand même, viens retirer un dossier d'embauche, et tu le remplis comme "si de rien n'était". Ça te coûte rien... Je passe rue Réaumur retirer un dossier, je le remplis et le remets à la "préposée"... Quelques jours plus tard, je reçois une lettre me disant que "ma candidature est acceptée", et que je commence lundi au centre des NMPP, à Rungis. Je n'en reviens pas, et en plus, c'est à côté de chez moi ! Ma joie sera de courte durée, le samedi je reçois un télégramme me disant "inutile de vous présenter à Rungis lundi matin. Votre candidature est rejetée...". Mais voilà, j'ai le contrat d'embauche signé par la direction des NMPP ! A mon tour, j'expédie un télégramme à la Direction des NMPP, rue Réaumur :" Puisque je ne peux me présenter à Rungis, je viendrai rue Réaumur lundi matin, je me considère comme embauché !". Le lundi matin, "on" m'attend rue Réaumur (des employés qui ont visiblement reçu des consignes de me garder sous surveillance; ils me conduisent aussitôt au 3e étage, chez le Directeur des Messageries. Celui-ci me dit, très affable, de m'asseoir face à son bureau. "Enfin ! Gabriel Enkiri ! Comment avez-vous pu croire qu'Hachette vous laisserait entrer aux NMPP ! (Je suis assez impressionné, car je ne sais pas comment il va réagir, et sans doute est-il lui-même surpris de me voir, bien inoffensif, tout au moins en apparence) - J'ai le contrat signé, je peux... - C'est une négligence de nos services, vous vous en doutez bien, m'interrompt-il. "Mais je ne comprends pas. Vous êtes membre du parti socialiste. Allez-donc voir Georges Filloud (le Ministre de l'Information). Vous voulez que je l'appelle. Je lui raconte ce qui vient d'arriver au Ministère de la Culture. Il éclate de rire. (Et puis je viens de quitter le PS, nous sommes en 1983, l'année du "grand virage" économique qui tourne le dos à 1981). Je n'imagine pas Filloud faire quoi que ce soit pour moi. Le Directeur des NMPP a vraiment envie de me "caser". Pour lui, c'est très facile ... Il décroche son téléphone et appelle le directeur du personnel... à l'AFP, tout à côté "J'ai ici dans mon bureau une personne qui a déjà travaillé chez vous. Je vous demande de le reprendre." (A l'AFP, ils ne reprenaient pas ceux qui avaient démissionné, ce qui était mon cas). Pourtant, le lendemain, je retournais à l'Agence, qui avait, depuis, quitté ses vieux locaux, et intégré des locaux tout neufs, deux cents mètres plus loin, juste en face de la Bourse.

Gabriel Enkiri - Vive Hachette donc !

Réponse - Eh oui. La "pieuvre" n'était pas rancunière !
















24ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Gabriel Enkiri - Dans quel état d'esprit étiez-vous à ce moment-là ?

Réponse - Désabusé. Je n'avais plus envie de me mêler à des groupuscules. A l'AFP, les sections syndicales, avec des effectifs pourtant réduits, étaient encore puissantes, entre les mains de militants trotskistes ou communistes de la plus stricte obédience. Tout cela pour moi sentait le réchauffé, le déjà vu, sans perspectives. Je n'étais pas rédacteur (journaliste) mais un simple employé du "courrier-départ", un excellent poste d'observation. Et puis la guerre "civile" au Liban, qui démarra en 1975, m'obligea à me tourner vers la Méditerranée. Non seulement je pensais aux gens de la famille que j'avais rencontrés là-bas en 1970 (l'un d'eux a disparu pendant la guerre - on n'a jamais retrouvé son corps) mais à ce grand patriarche maronite, véritable Chef d'Etat du Liban - Paul-Pierre Méouchi, un parent ! - décédé en 1975, juste à la veille du déclenchement de cette guerre épouvantable. Serait-il parvenu à sauver le pays, à enrayer l'engrenage qui lui fut fatal ? La famille paternelle étant originaire de Saint-Jean-d'Acre, annexée par les juifs en 1949, il me fallut également m'intéresser à Israël. Nombreuses furent mes lectures, et très vite je me suis rendu compte que les "historiens" se trompaient, volontairement ou non, je n'en sais rien. Quelques visites aux archives du Quai d'Orsay, ou à celles de l'AFP, confirmèrent ce que je soupçonnais : tout un pan de l'histoire était occulté, notamment celui de l'après-guerre, période qui fut dominée, on le sait, par l'omnipotence "communiste" et soviétique. Marie-Georges Buffet vient de mettre les précieuses archives du PC à la disposition des chercheurs. Sans doute tout n'y est pas, et je suis surpris d'apprendre, par exemple, sous la plume de Marc Lazar, "historien des gauches européennes" (in Libération daté du 2-3/7/05) que n'y figurent pas celles qui ont trait au pacte germano-soviétique de 1939, ni semble-t-il celles concernant les relations avec les juifs à la fin de la seconde guerre mondiale, notamment avec les dirigeants sionistes installés à Paris, et que soutenaient bien entendu les dirigeants soviétiques... De fil en aiguille, j'ai remonté jusqu'aux origines du communisme et du sionisme, et j'ai découvert les origines de la guerre mondiale laquelle a commencé très exactement à la fin du 19e siècle. Du coup j'ai jeté à la poubelle tous mes livres d'histoire ( pas un ne tient la route !) et je me suis mis à réfléchir (par moi-même, avec mon expérience) en éprouvant bien sûr le désir de porter mes découvertes à la connaissance de mes compatriotes. D'où des premiers livres que j'ai eu un mal fou à publier, tous rejetés par des éditeurs effrayés par les réactions qu'ils imaginaient. L'un d'eux m'a pourtant dit (l'ancien PDG des éditions France-Empire) "Vous avez probablement raison, mais je sais ce que l'on va dire si je vous publie. Il vous faudrait un éditeur comme Le Seuil, mais ils ne vous publieront jamais !". Un autre, tenté de le publier, confia le manuscrit à l'un de ses avocats, qui le lui déconseilla fortement. "Vous ne voulez pas que je mette ma maison d'édition en péril pour vous faire plaisir !". Cette réflexion était exactement semblable à celle que me fit un jour, Henry Smadja, le patron de Combat rejetant un papier que je lui avais apporté... sur Hachette ; "Vous ne voulez pas que je coule mon journal pour vous faire plaisir !" en me précisant "qu'il ne survivait que grâce aux NMPP ! Ainsi, j'ai découvert qu'il y avait, avec Hachette, une autre puissance dissuasive dans notre pays qui s'appelle Israël !

Gabriel Enkiri - Est-ce que vous n'avez pas peur de verser dans l'antisémtisme ?

Réponse - Absolument pas ! J'ai horreur de l'antisémitisme, comme j'ai horreur du racisme....



















25ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


J'ai fini par faire ce que l'on appelle de l'auto-édition. Par exemple, l'avant-dernier "Israël le dernier quart d'heure", je l'ai fait imprimer à Beyrouth, et le petit distributeur (franco-arabe) que j'ai déniché, avait peur des représailles (fisc, police, groupes d'action juif du type betar) alors que le livre n'était nullement interdit ! Comment, dans ces conditions, atteindre un grand nombre de lecteurs ? Nous avons là la preuve qu'il existe une auto-censure générée par la crainte tout simplement. Le livre n'est pas interdit, mais les éditeurs se défilent, et lorsque vous avez réussi à l'imprimer (à vos frais) les distributeurs hésitent (ou renoncent) à le proposer aux libraires ! La France n'est plus le pays de la liberté : elle est sous surveillance. En tout cas, ça n'est plus le pays de Voltaire. Regardez ce que l'on fait subir à un homme comme Edgar Morin !

Gabriel Enkiri - Dans ces conditions, mon pauvre vieux, comment pouvez-vous vous faire entendre ?

Réponse - C'est tout le problème ! Je ne me compare pas à Soljenitsyne, mais voici un homme qui a été "étouffé" dans son pays pendant 30 ou 40 ans, et c'est en expédiant ses manuscrits à l'extérieur, à l'Ouest, qu'il a fini par être édité... et distribué ! En France, je ne suis certainement pas le seul dans mon cas, mais vers quel extérieur pouvons-nous crier "au secours !" Qui nous entendra ? Peut-être sur la toile, à coups de "tatamis" ? Voici donc un petit livre, en format poche, où je résume, je pense, l'essentiel de ma "découverte", car il s'agit vraiment d'une "découverte" puisque je ne l'ai lue nulle part...

Gabriel Enkiri - Pourquoi ce titre "Israël un projet funeste" ?

Réponse - Il fallait choisir un titre, un titre accrocheur. Mais il s'agit bien d'un "projet funeste". Je m'explique.
En me lançant sur les traces de mon père, Jean Enkiri, je découvre qu'il est venu en France, en 1900, il avait tout juste vingt ans. Dans cette fin de siècle, de nombreux proche-orientaux émigrent. En voici plusieurs milliers en France, à Paris notamment. Ils rêvent d'une Syrie indépendante. L'Empire ottoman est en fin de course : il est à prendre !
La guerre mondiale commence là; elle oppose les deux super-grands du moment : l'Angleterre à l'Allemagne. La première est obsédée par la "route des Indes" (canal de Suez et route terrestre... par Bagdad, Téhéran, Kaboul et Delhi). La seconde devient l'alliée de l'Empire ottoman. La suite obéit à une logique implacable. Ce sont les Anglais qui sont responsables à 80% du déclenchement de la guerre. En 1904 ils retournent la France comme une crêpe (entente cordiale, mon cher), et nous lui apportons la Russie dans notre corbeille de fiançailles.
Les juifs vont jouer un rôle considérable. Allemands, ils le sont de tout coeur, ils ont aidé Bismarck à réaliser l'unité de l'Allemagne, et lorsque Guillaume II limoge le Chancelier et proclame son ambition mondiale (weltpolitik) ils vont lui proposer leur soutien. Mon père et mon grand-père ont vu arriver à Jérusalem en 1898 l'Empereur d'Allemagne, avec dans ses bagages Théodor Herzl ! Mais en Angleterre, il y a un autre juif très "entreprenant", Weizmann, qui lui, joue la "carte britannique". En 1916, les Empires centraux dominent sur tous les fronts, et là Weizmann l'emporte... Le 2 novembre 1917 est publiée la "lettre de Balfour à Rothschild" et dans les mois qui vont suivre 4 Empires vont s'effondrer comme des châteaux de cartes : l'Empire allemand, l'Empire austro-hongrois, l'Empire ottoman et l'Empire russe ! Dans ces 4 Empires il y a de fortes communautés juives... En vérité, l'émancipation des communautés juives va déboucher sur le "problème juif" : doivent-ils s'assimiler ? Ils sont allemands, et souhaitent le devenir plus encore. D'autres émigrent aux Etats-Unis, d'autres vont faire la "révolution" en Russie. En 1900, il y a déjà plus de 3 millions de juifs à New York ! En 1918, l'Angleterre, qui a fait alliance avec les sionistes, s'empare de la Palestine, elle va, pour défendre l'Inde, le joyau de la couronne, menacée par Gandhi, tenter de créer un "royaume arabe" qui protégerait la route des Indes, mais son alliance avec les juifs (sionistes) rend ce projet irréalisable. Elle va donc abandonner le sionisme en mars 39, et le fait savoir en publiant un Livre Blanc à Londres. En septembre elle doit en informer officiellement la Société des Nations à Genève... mais à la place nous avons eu la guerre, une "seconde guerre" mondiale qui n'est que le prolongement de la première.

Gabriel Enkiri - Si je vous comprends bien, les sionistes lâchés par Londres vont s'allier... avec les adversaires de l'Angleterre ?

Réponse - Exactement, comme dit Ben Gourion à ce moment-là "le projet sioniste est menacé de mort" : il faut le sauver.























26ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


En vérité, c'est Staline (pourtant antisémite), qui a besoin des juifs pour sauver lui aussi son régime en 1939, un régime qui est anéanti, ruiné. Il va "sauver" le projet sioniste en passant alliance avec ses dirigeants comme l'avait fait l'Angleterre en 1917, et comme Guillaume II l'avait fait auparavant en apportant son soutien à Thédor Herzl. Cette connivence va lui permettre de réaliser une grande alliance avec l'Amérique ! Si bien que l'on peut dire que le XXe siècle, c'est l'histoire du passage des Juifs de l'Est à l'Ouest (en 1941 ils prennent leur billet pour les Etats-Unis). Ce qui devient inquiétant pour Israël, c'est que cette enclave étatiste, qui n'en finit pas de faire la guerre à ses voisins, ne sert plus à rien ! La mondialisation met face à face les Etats-Unis (qui ont supplanté l'Europe et l'Angleterre bien sûr) et la Chine. Ces deux super-grands ont besoin du pétrole - et comme vous le constatez - tous les pays producteurs de pétrole sont "en crise" !

Gabriel Enkiri - Vous voulez dire qu'on s'achemine vers une 3e guerre mondiale ?

Réponse - Aujourd'hui je réponds oui. Elle est même commencée, à Bagdad bien sûr, comme il y a un siècle. L'Empire ottoman était convoité par les puissances européennes parce que c'était la région la plus stratégique du globe, pas seulement à cause du pétrole que l'on reniflait déjà à plein nez. C'est, je le répète, le bastion qui servait à contrôler l'Inde, et l'Asie avec elle. Cette fois, c'est toute la ceinture coranique (1 milliard 200 millions de musulmans) qui entoure la Chine - du Maroc à l'Indonésie ! Les Etats-Unis doivent s'en emparer impérativement pour contrer leur adversaire. Et celui-ci va devoir lui aussi rassembler une coalition. C'est bien le duel Angleterre-Allemagne - pour la domination mondiale - qui se répète entre la Chine et les Etats-Unis.
C'est pourquoi je suis convaincu que l'Etat sioniste n'a aucun avenir - Sharon et les siens sont d'ailleurs en train d'en prendre conscience. (Il disparaîtra dans trente, quarante ans). D'où leur recherche désespérée d'une "solution" qui les sauverait comme en 1939, et celle-ci ne peut se concevoir que par une "grande guerre"... Car, inévitablement, les Américains, enlisés en Irak, ne vont pas tarder à comprendre (avec les juifs américains qui vont les inciter à le faire) que pour rallier le monde arabo-musulman à leur cause, il leur suffira de laisser tomber Israël ! Ça leur coûtera beaucoup moins cher, et n'est-ce pas le meilleur moyen de faire acclamer l'Oncle Sam, du Maroc à l'Indonésie, en passant par toute l'Asie centrale "pétrolifère" ?

Gabriel Enkiri - Et pourtant, on a l'impression que le couple Sharon-Bush fonctionne bien ?

Réponse - Observez bien ce qui est en train de se passer en Palestine. La situation est trouble, illisible, en raison du retournement de Sharon (contre les colons et les fanatiques qui pourraient bien l'assassiner). Le vieux chef sioniste a réalisé, lors de son dernier voyage aux States, que la Maison Blanche était condamnée à faire quelque chose en faveur de Mahmoud Abbas, qu'ils ont installé à la tête de l'Autorité palestinienne. Depuis la disparition d'Arafat, Israël a perdu son "exclusivité" américaine. Mon petit livre, surprenant à n'en pas douter, permet de comprendre tout cela, et d'abord le comportement du PCF à la Libération. Et il replace les juifs au coeur des événements du XXe siècle en révélant que le soviétisme et le sionisme n'ont fait qu'exprimer une double démence consécutive à leur émancipation. Comme le dit justement Jacques Attali, c'est le "capitalisme" qui les a "libérés". Dès lors il leur fallait bien choisir leur camp !
Dites-vous bien que si les Etats-Unis ne suppriment pas Israël... c'est la Chine qui s'en chargera... en recherchant l'alliance avec le monde arabo-musulman ! Celui-ci fait l'objet d'un enjeu planétaire, tout comme l'Empire ottoman au début du XXe siècle. Je n'exclus même pas une conversion de la Chine à l'Islam - vous imaginez les conséquences pour le Monde !
Il s'agit bien de la poursuite de la guerre mondiale qui se déroule sous nos yeux... Je ne vous cache pas que je suis très pessimiste pour nos enfants et nos petits-enfants : cette 3e manche risque d'être une guerre atomique doublée d'une guerre de religions avec en + un terrorisme planétaire. Bref, la cata... D'aucuns diront "que le temps de l'Apocalypse" est venu... Les religieux ne manqueront pas, évidemment, de l'invoquer pour terroriser une opinion crédule. A nous de réagir pour sauver une paix plus que jamais menacée.
























27ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Un coup pour rire... avec Maurice Papon !

En 1961, je survivais dans mon une "pièce-cuisine" de la rue Affre, à la Goutte d'Or, la Casbah de Paris. Je ne mangeais pas tous les jours, et j'étais aux prises avec mon second manuscrit "Le clandestin" que j'avais donné à lire J.P. Sartre. Presque tous les jours je traversais Paris à pied pour me rendre à Montparnasse rejoindre Jean de Miribel, un prêtre(ouvrier) de la Mission de France, que j'avais découvert dans le 13e arrdt où il travaillait dans un minuscule local, non loin de la SNECMA. Il était très estimé dans le quartier, et surtout il participait aux actions contre la guerre d'Algérie, avec de nombreux opposants du PC, ou dissidents (comme moi). En conséquence, il n'était pas en "odeur de sainteté" auprès des dirigeants communistes du coin. D'autant qu'il lui arrivait d'héberger des militants du FLN "clandestins", recherchés par la police. Sans doute était-il sous l'influence du "tiers-mondisme" (Franz Fanon) car il m'annonça qu'il avait l'intention de quitter la France, et son quartier ouvrier du 13e, pour émigrer au Brésil - là où il y avait beaucoup à faire ! J'essayais de l'en dissuader : n'était-il pas mon dernier ami disponible ? Mais sa décision était prise. - Les ouvriers en France ont maintenant le minimum vital, toi-même tu as bien vu qu'ils ont acquis un certain niveau de vie, ils ne sont pas malheureux" me répondait-il calmement. Je ne pouvais qu'en convenir. Un jour il m'emmena rendre visite à sa cousine Elisabeth de Miribel, "celle qui avait tapé à Londres l'Appel du 18 juin du Général de Gaulle sur une vieille machine à écrire". Elle s'était blessée, et on la soignait à l'hôpital. Il me présenta à sa cousine, et je lui dis, avec émotion "C'est donc vous qui avez tapé l'Appel du 18 Juin sur une vieille machine à écrire" ! Elle me répondit, en souriant :" Hé oui, c'est bien moi !" Jean de Miribel l'informa sur ses préparatifs de départ, qui se rapprochait inexorablement. Il avait rejoint déjà Notre-Dame-Des-Champs, à Montparnasse, pour s'éloigner du quartier où il avait si longtemps vécu, et où beaucoup tentaient de le retenir. Ainsi trouvais-je chaque fois de quoi me restaurer dans son presbytère (je n'étais d'ailleurs pas le seul à venir me sustenter chez lui). Je regagnais ensuite mon antre, rue Affre, toujours à pied, et un jour, franchissant la Seine, je me retrouve dans une rue dont le nom me rappelle l'article que j'avais lu la veille, ou deux jours plus tôt, dans Le Monde, un article consacré à une étrange organisation qui s'appelait "Patrie et Progrès" et dont le fondateur, Philippe Rossillon, disait qu'elle se situait "entre Debré et Mendès". Le journal donnait son adresse. Et je me retrouvais quasiment au pied de l'immeuble où elle se trouvait. Il faisait chaud, j'avais soif et j'étais fatigué. Bref, par curiosité, j'entre, je pousse la porte, et que vois-je ? Une assemblée de jeunes gens bien mis écoutant un orateur, qui n'était autre que Philippe Rossillon, en personne, le fondateur de l'organisation ! Je ne pouvais pas mieux tomber, me suis-je dit, et Rossillon me fait signe d'approcher, et la salle étant pleine, il m'invite à m'asseoir à ses côtés à la tribune ! Je ne sais pas si ça se voyait que j'étais assoiffé, mais Rossillon me fit apporter une bière (pas qu'à moi bien entendu !). J'ai tout de suite compris qu'il avait de l'humour, et on l'aurait plutôt pris pour un potache attardé. Les étudiants présents l'écoutaient bien sagement (c'étaient, je l'ai appris par la suite, des étudiants de "science-po"). A la fin de la réunion, Philippe Rossillon me tend un papier qu'il me demande de remplir, en laissant mon adresse pour que leur bulletin me soit expédié. Je m'exécute bien volontiers, mais à la question " à quel titre avez-vous assisté à cette réunion ?" je suis embarrassé pour répondre, et tout naturellement j'écris le mot "curieux". Ah, ce mot ! Quelle avalanche allait-il déclencher à la Préfecture de Police où règnait en maître un certain Maurice Papon !
























28ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Un coup pour rire (suite)

Plusieurs mois passent, et j'avais bien oublié cette halte-repos à Patrie et Progrès. La situation avait empiré; après l'échec du putsch des généraux à Alger, en avril 1961, plusieurs offciers partisans de l'Algérie française fondèrent l'OAS qui inaugura une série d'attentats dans la métropole. Je n'ai pas participé à la fameuse manifestion du 17 octobre organisée par le FLN, et sauvagement réprimée par la police. Elle était interdite, et le couvre-feu avait été décrété. Je suis sorti de chez moi pour gagner Barbès, où les Algériens descendaient par groupes de la banlieue nord. J'ai pensé tout de suite qu'il y aurait de la "castagne", il ne pouvait pas en être autrement. Et comme la négociation "secrète" avait commencé entre de Gaulle et le GPRA, à Tunis (elle allait aboutir aux Accords d'Evian en mars prochain (1962), je ne voyais pas l'utilité de cette manifestation. Et si elle tournait mal, ne risquait-elle pas de compromettre la négociation en cours ? Je suis rentré chez moi, inquiet. La répression, on le sait, fut lourde, sauvage. Il est probable que l'OAS avait noyauté les différents services de police, et qu'elle vit là une occasion de casser l'engrenage fatal de la négociation qu'elle savait engagée. Il n'en fut rien, mais l'atmosphère devint pesante. Les plasticages reprirent de plus belle, contre le domicile d'André Malraux qui blessa la petite Delphine Renard, et surtout cette "nuit bleue" du 17-18 février (1962) où se produisirent près d'une vingtaine d'attentats dans la capitale ! Début mars, quelque temps avant les Accords d'Evian, je fus réveillé en pleine nuit par une voix criant "Police !" et des coups frappés à ma porte. Je m'habillai sans me hâter avant d'ouvrir quelque peu méfiant, nullement persuadé d'avoir affaire à de vrais policiers ! Deux hommes entrèrent, après m'avoir présenté leur carte, et inspectèrent mon logement en silence. Tandis que l'un d'eux se consacrait aux lettres et aux papiers qui envahissaient mon bureau, l'autre se plongea dans la lecture du manuscrit qui avait pour titre "Le clandestin" ! Je vis bientôt à leur mine effarée que quelque chose les turlupinait. - C'est pas possible ! s'exclama l'un d'eux en consultant son papier. Il est pourtant sur la liste ! - C'est certainement une erreur, murmura l'autre, absourdi. - Quelle erreur ? hasardai-je timidement. - Je n'ose pas vous le dire, fit-il gêné. - Dites quand même ! insistai-je de plus en plus perplexe. - Vous êtes sur notre liste... d'activistes dangereux de l'OAS ! fit-il en se tordant avec son collègue.
De stupeur, je faillis tomber à la renverse ! Nous réfléchissâmes ensemble quelques instants. D'où pouvait venir cette méprise ? - Nos collègues de la DST ont perdu la tête, c'est sûr. Malheureusement, il faut nous accompagner... Vous êtes sur la liste, et si on ne vous ramène pas, ils vont nous demander pourquoi ! Et qu'est-ce qu'on va leur dire ? Ils sont vraiment sur les dents à la Préfecture... - Ils vont vous relâcher tout à l'heure, vous serez de retour à l'aube, murmura l'autre. Ils vont bien se rendre compte qu'ils se sont trompés...
Je sortis avec eux, sans rien emporter, convaincu de revenir bientôt, une fois les vérifications établies. Au commissariat, derrière les grilles, en compagnie d'autres personnes manifestement tirées du lit comme moi, j'attendis patiemment que le jour se lève. Lorsqu'au petit matin on refusa de me laisser téléphoner, je commençai à m'inquiéter.
























29ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri

Un coup pour rire (suite)

- Vous êtes en garde à vue, m'expliqua-ton. Vous n'avez pas le droit de communiquer avec l'extérieur, pas même avec votre avocat !
Je n'en revenais pas ! J'avais l'intention d'appeler Philippe Tesson, que j'avais vu en dernier, et bien entendu Jean de Miribel, Claude Bourdet et quelques autres. Impossible ! Nous fûmes transférés en cours de journée à l'ex-hôpital Beaujon, transformé en centre de garde à vue pour des gens soupçonnés d'activisme. La rafle de la nuit avait été fructueuse : les lieux débordaient, et les protestations indignées fusaient de toutes parts. Je ne savais toujours pas pourquoi j'étais là, jusqu'au moment où j'aperçus au grand complet les étudiants de "science-po", entrevus deux mois plus tôt à "Patrie et Progrès" ! Tout devenait clair, du moins l'origine de mon arrestation...
Je ne doutais plus que j'allais en sortir rapidement : il me suffirait d'expliquer mon "cas" à l'officier de police chargé de nous recevoir. Hélas, il resta muet. - Mais enfin, que me reproche-t-on ? - Il n'y a rien dans votre dossier. Regardez cette chemise, fit-il désabusé, en la secouant devant moi : il n'y a rien, pas même un papier ! - C'est kafkaïen, murmurai-je, sidéré par la tournure que prenaient les événements.
Au bout de 48 heures, à l'expiration de la garde à vue, je parvins à joindre Philippe Tesson qui ne tarda pas à me rendre visite bientôt suivi de Jean de Miribel, stupéfait de me voir là. Ils étaient désarmés, et désarçonnés. On nageait en plein arbitraire. Protester auprès de qui ? Intervenir auprès de qui ? Je dus ma libération à un envoyé du Préfet, Gérard Lecomte, un attaché du cabinet de Maurice Papon, qui, alerté par la "rumeur" ("ils arrêtent n'importe qui !") vint se rendre compte sur place. Accueilli, ou plutôt assailli par une foule en colère, je crus ne jamais pouvoir l'aborder lorsque j'eus l'idée de crier à son adresse :" Vous avez même arrêté un PSU !" Interloqué, l'honnête fonctionnaire, jouant du coude, se dégagea de la meute aggripée à ses basques, et me lança d'une voix angoissée :" C'est pas vrai ! Vous plaisantez ? - Pas du tout ! Renseignez-vous ! J'eus tout juste le temps de lui communiquer mon nom : déjà, il disparaissait, happé dans le tourbillon des contestataires.
Deux ou trois jours plus tard, un avion nous déportait en Ardèche, à Saint-Maurice-l'Ardoise ! Je passai un mois dans ce camp d'internement "aux frais de la princesse", nourri, logé, blanchi, en compagnie d'une faune extraordinaire, celle des "activistes" en tous genres, plus ou moins actifs (bavards surtout) auxquels se mêlaient des gens qui, comme moi, n'auraient jamais dû se trouver là. Il y avait là des types qui haïssaient de Gaulle, pour toutes sortes de raison. A ceux qui ont vu récemment le téléfilm sur "l'attentat du Petit-Clamart" (assez bien fait d'ailleurs), je confirme que les individus qui tiennent ces propos extrêmes à l'encontre du Général, ont bien existé ! On a du mal à comprendre cela aujourd'hui, et pourtant il suffit de regarder Israël où les colons sont devenus déments, et l'assassinat de Sharon programmé. Car il sera assassiné ! N'est-ce pas le seul moyen d'empêcher le "crime", d'en finir avec le "traître" ? J'ai entendu ceci, par exemple :" De Gaulle est un sous-marin du PC", "C'est une créature diabolique", "Il est au service de l'impérialisme soviétique ", "Il a toujours trahi". Une véritable aliénation qui échappait à toute rationalité. Lorsque je suis rentré de St-Maurice-l'Ardoise, juste après la signature des Accords d'Evian (qui furent accueillis, comme vous le devinez dans le camp, par un concert d'imprécations) j'avais moi aussi "intégré" dans mon analyse "ardoisienne" l'attentat contre le Général. Il surviendrait, pensais-je, au moment de l'arrivée des "pieds-noirs; l'OAS disposerait d'une base agissante en métropole, la gauche étant alors encore dominée par un PC resté stalinien, nous serions la proie d'une guerre civile semblable à celle que l'Espagne avait connue, avec son même achèvement. Sans doute étais-je excessivement pessimiste, et je me triturais les méninges dans l'espoir d'y découvrir une échappatoire. J'avais ainsi, probablement à cause de mes origines, pondu une "tribune libre" intitulée "Pour une Algérie libanaise", que je portai à Combat qui publiait tout, et son contraire !, son rédacteur-en-chef Philippe Tesson étant de nature très "libérale", tout comme son adjoint Henry Chapier, féru de cinéma, et d'une culture encyclopédique . Il s'agissait évidemment du Liban d'avant sa propre guerre civile ! En réalité, je préconisais dans une Algérie indépendante un président arabe avec deux vice-présidents, un kabyle et un européen... Ce qui eut permis à l'Algérie de conserver sa minorité européenne, sans doute réduite et épurée des représentants les plus marqués du colonialisme. Mais j'étais à ce point isolé, pour ne pas dire esseulé, que cette construction en apparence séduisante relevait de la chimère...
Etais-je condamné à rester ad aeternam dans ce camp ? Le plus drôle, c'est que certains "déportés" venaient me voir pour me dire que "j'étais très fort, que dans le camp on me prenait vraiment pour un PSU", alors qu'eux savaient qui j'étais en réalité ! Enfin, je fus libéré le premier (avec un autre type). Arrivé à Paris, l'Attaché du Préfet me demanda de passer le voir. Il se répandit en plates excuses. "J'ai fait mon enquête moi-même. J'ai appelé Alain Savary (un des responsables du PSU) que je connaissais. Il m'a rappelé pour me confirmer que sans être membre du PSU, vous en étiez très proche. J'ai alors foncé chez le Préfet, et je lui ai raconté ce que je savais. "Ils sont devenus fous, Monsieur le Préfet, en voici la preuve !" Il m'a regardé, incrédule, puis il m'a dit " libérez-le immédiatement, et voyez s'il n'y en a pas d'autres dans le même cas". - Mais comment expliquez-vous cette bavure ? - Figurez-vous que lors d'une perquisition au siège de "Patrie et Progrès" ils ont découvert votre nom et surtout, fit-il d'un air enjoué, vous aviez isncrit "curieux" sur une fiche, et c'est cela qui vous a rendu suspect ! Ils étaient persuadés qu'ils avaient mis la main sur un chef de l'OAS-Métro qui venait recruter parmi les jeunes de cette organisation ! Et puis votre nom, Enkiri, ils ont pensé que c'était un pseudo, ou un nom de pied-noir ! Vous savez, ils n'avaient rien sur les gens qui arrivaient d'Afrique du Nord. Ils étaient persuadés avoir mis la main sur une grosse prise ! Ils ne voulaient pas vous relâcher !
























30ème partie de l'auto-interview de Gabriel Enkiri


Un coup pour rire (fin)

Lorsqu'il sollicita mon avis pour sortir un certain nombre d'internés, il me lut toute une liste de noms, et je crois bien avoir témoigné en faveur d'une bonne douzaine d'entre eux en lui disant :" Vous pouvez y aller, celui-là n'a rien à avoir avec l'OAS." Il n'en revenait pas " Ils ont vraiment pété les plombs".
C'est ainsi que j'ai retrouvé la liberté grâce à Maurice Papon qui, ce jour-là, a au moins libéré un "antifasciste" d'un "camp de concentration" !
Plus tard, j'ai revu Philippe Rossillon qui était désolé de ce qui m'était arrivé. Apparenté à la famille Seydoux, une famille très argentée (et très présente dans l'édition, la presse et le cinéma) ce jeune énarque militait en faveur de la francophonie et dirigeait un Institut de Recherche sur l'Avenir du Français. C'était un proche de Jacques Chirac, et lorsque le futur Président de la République se rendit en Corrèze, en 1967, pour conquérir un premier siège de député, Rossillon me proposa de me joindre à l'équipe qui allait lancer, pour l'occasion, un journal L'Essor du Limousin. Un moment tenté (j'étais au chômage) j'y renonçai lorsqu'il m'apprit que ledit journal était financé par Marcel Dassault. Je n'étais pas encore prêt psychologiquement à travailler pour un journal à ce point marqué. "Tu as tort, me dit-il, avec Chirac ta carrière est faite. Le Grand Jacques, crois moi, sera un jour Président de la République !"






















Avis de Gabriel Enkiri sur l'auto-interview


"Comme vous pourrez le constater en lisant cette (longue) auto-interview, j'ai pris un vif plaisir à la réaliser. D'abord, je crois m'être posé les bonnes questions ! (Il est rare qu'un interviewer vous pose les bonnes questions). Et s'il en reste d'autres qui vous viennent à l'esprit, n'hésitez pas à me les poser ! J'y répondrai volontiers, et en toute sincérité...
J'ai réellement l'impression d'avoir été étouffé pendant des dizaines d'années, je dis bien des dizaines d'années. Sans doute mon itinéraire à travers deux mondes fermés, celui du PCF et celui de l'édition, était-il voué dès le départ à une impasse du fait des événements historiques que j'ai vécus à mon niveau, fort humble, j'en conviens, mais qui me condamnaient à une sorte de double exclusion, au sens propre comme au sens figuré. Il est possible, grâce à tatamis, que le mur (tout comme celui de Berlin !) finisse par s'écrouler ! La preuve serait faite alors que cet extraordinaire outil de communication qu'est internet est également révolutionnaire. Au sens propre du terme, c'est-à-dire qu'il délivrerait la communication entre les citoyens du monde entier de toute entrave... Alors viendrait pour nous tous le temps de la liberté !
Nous allons le vérifier bientôt puisque mon petit livre - iconoclaste certes - que les médias font semblant d'ignorer, serait porté à la connaissance du public, ce public qui a le droit d'être informé, et de donner son avis sur ce que je crois avoir découvert : il existe bien un fil rouge qui relie les événements de ce siècle les uns aux autres, et qui n'en finit pas de se dérouler... jusqu'à Badgad, dans un aller-retour meurtrier.
Merci encore à l'équipe de Tatamis !"





























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