mercredi, août 17, 2005

La Préface de Jean-Edern Hallier, rédigée en 1985 pour le livre de Gabriel Enkiri "A bas Mitterrand, le Prince de la Magouille" jamais paru

                                                             L'honneur de la gauche
   Mi-Libanais, mi-Breton, Gabriel Enkiri est peut-être le dernier des hommes de gauche français, le dernier des Mohicans de cette race de militants que l'arrivée au pouvoir de la gauche en France a rejeté dans l'ombre, bâillonnés et amers. C'était un croyant, qui n'avait pas compris l'avertissement prophétique du philosophe polonais, Kolakowski, valable pour tous les peuples de gauche du monde : que l'idée marxienne du socialisme était le produit des intérêts particuliers de l'intelligentsia qui cherche à prendre la place des classes privilégiées existantes et à laisser intact le système de l'inégalité et de l'oppression.
Ce qu'il n'avait pas compris, non plus, c'est que le peuple de gauche, en votant massivement pour François Mitterrand, ne votait pas pour un homme, mais pour un gang, une maffia, et une bourgeoisie avortée; une nouvelle société de parvenus, comparable à la nomenklatura, l'aristocratie communiste que Malaparte décrivit avant tous les autres, en 1929, dans son bal au Kremlin. Enkiri ne pouvait être invité au bal de la gauche mondaine. Ses combats militants -, dont le plus célèbre fut contre ce qu'il appela la pieuvre verte, Hachette - son obscur emploi de "distributeur" au service du "courrier-départ" de l'Agence France-Presse, son appartenance à l'aile la plus marchante de la CFDT, lui en interdisaient de toutes façons l'accès. C'était un pur, il fallait se méfier de lui, le mettre en quarantaine.
D'ailleurs dans quel journal pourrait-il écrire ? A quelle radio, à quelle télévision pourrait-il écrire sa colère ? C'est parce qu'il pensait comme un vrai homme de gauche, qu'il fallait le faire taire - comme le fameux silence des intellectuels n'est en fait qu'une répression sournoise, et attentive : je suis payé pour le savoir... Plus que jamais la célèbre formule est valable : la gauche n'est bonne que dans l'opposition. Car le paradoxe n'est pas qu'elle puisse faire une politique de droite, réduire le pouvoir d'achat des travailleurs, recommencer des guerres coloniales sans colonie, trahir une à une toutes ses promesses, et mener finalement une politique infiniment moins socialisante que le giscardisme : c'était prévisible, tout régime totalitaire, de l'URSS au régime de la monarchie élective à la polonaise, mis en place sous la Ve République, en France, est forcément de droite - comme le pouvoir laissé à une nomenklatura, la gauche mondaine, est forcément de droite aussi.
Je ne suis pas toujours d'accord avec les analyses d'Enkiri - notamment son anti-sionisme. Si la Palestine a déçu, c'est d'abord par sa faute. Nous étions tous, hommes de gauche, pro-palestiniens en 1970. Si nous ne le sommes plus, c'est que nous ne pouvons plus l'être. Avant toutes choses, je suis heureux que ce livre puisse se publier - après tous les avatars et les pressions pour qu'un livre portant un titre pareil ne le soit jamais.
Mitterrand a beau être Président de la République, ce n'est pas lui qui a la légitimité, mais Gabriel Enkiri. Dans le désert de la pensée politique française, il fallait que sa voix s'élève et puisse enfin être entendue.
Ce livre sauve l'honneur de la gauche.
JeJJeaJean-Edern Hallier

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