mardi, décembre 06, 2011

HENNEBONT-TERMINUS (3)

Quelques jours plus tard, nous vîmes débarquer à notre réunion de cellule d'entreprise tous les dirigeants locaux du parti, Bernard Jourd'hui en tête ! Celui-ci exigeait mon exclusion, qui lui fut refusée par un vote unanime des camarades présents, des jeunes que j'avais fait adhérer récemment pour la plupart, dans le combat que nous menions dans l'usine contre le rappel du contingent en Algérie ! Jourdhui insista :" La Fédération exige une exclusion, à tout le moins temporaire, d'au moins un an !" Pour nous intimider, il nous raconta alors comment il avait chassé du Parti l'ignoble André Marty !  - Ce salopard est venu jusqu'à la section, en pleurnichant :" tu te rends compte, Bernard, ce qu'ils sont en train de me faire !", je l'ai pris par le colback, et je l'ai balancé dehors sur le trottoir, fit-il, le visage rougi par une indignation toujours présente.
C'était effrayant. D'autant plus effrayant, que le malheureux Bernard, promis au plus bel avenir, a disparu quelques années plus tard, après avoir perdu toutes ses fonctions, tous ses mandats, destitué impitoyablement, sans que l'on sache vraiment pourquoi ! Et il est mort, jeune, à 54 ans je crois. J'ai lu qu'au tout début des années 60, il adhérait plus ou moins au "groupe Servin-Casanova", deux autres dirigeants du parti limogés par l'équipe au pouvoir. Ne m'intéressant plus aux choses de ce parti, je n'ai pas cherché à en savoir plus. Mais, parfois, je me demande si Bernard  ne s'est pas jeté dans la Bièvre, cette petite rivière mythique qui coule... sous la SNECMA et tout le 13e arrondissement, transformée en égouts se déversant dans la Seine ! On sait que les Staliniens furent terribles envers leurs anciens "camarades" de parti, des renégats, disaient-ils avec dégoût (toujours les termes religieux !) les poussant jusqu'au suicide, n'ayant de cesse de les éliminer d'une manière ou d'une autre. Une rupture est toujours un drame pour un dirigeant qui a fait sa carrière au sein d'un parti, à fortiori dans un parti de type stalinien, totalitaire. A côté de chez nous, à Lanester, dans cette vieille municipalité communiste, entre Lorient et Hennebont, où Jean-Claude Perron (un homonyme du Maire d'Hennebont !) avait quitté le PC pour conduire une liste de type "initiative citoyenne" et enlever la Mairie, administrée par le parti depuis 1919, on imagine le "tremblement de terre" ! Son suicide en 2004 a plongé la ville dans la stupeur. Quelles qu'en soient les raisons (et un suicide, c'est presque toujours inexplicable) je me souviens de ce que nous a dit Pierre Hespel, un militant communiste, remarquable, dans le nord de la France, qui fut l'un des plus jeunes déportés de France (à 17 ans), exclu pour titisme : " Vous ne pouvez pas imaginer ce qu'ils ont fait pour me supprimer..." 
Lorsque un an plus tard, Bernard Jourd'hui me demanda si je voulais reprendre ma carte, je lui répondis, avec calme et détermination :" Non !".
Maintenant que j'avais découvert, de l'intérieur, la vraie nature de ce parti, je savourais trop une liberté retrouvée.  (à suivre) 

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