En 1955, lorsque j'entrai à la SNECMA, je fus très surpris de découvrir boulevard Kellermann, sur le terre-plein face au vieux stade Charlety (depuis remis à neuf) des files de voitures en stationnement ! Un camarade d'atelier, devinant mon étonnement, me dit :" Eh, oui ! Aujourd'hui les ouvriers viennent travailler en voiture !". Moi qui venais d'Hennebont, je croyais que seuls des gens "riches", ou des patrons !, pouvaient se payer une voiture ! Dans ce quartier ouvrier, chargé d'histoire, avec la vieille usine Panhard de l'autre côté de la Porte d'Italie, et à l'arrière-plan l'.A.O.I.P (une coopérative ouvrière fabriquant des instruments de précision), tout contre la célèbre Butte-aux-Cailles, théâtre de combats particulièrement sanglants en 1871 entre Versaillais et communards, ma "conscience de classe" allait en prendre un coup. J'arrivais (ce n'est que plus tard que je l'ai compris) au moment où la France faisait ses premiers pas (avec retard) dans le 20e siècle, c'est-à-dire dans la "société de consommation". Politiquement, cela se traduisait par la fin du "communisme", et l'accession au gouvernement de Pierre Mendès France, apôtre du système "travailliste", calqué sur celui d'Outre-Manche. (Et c'est ce qui a perdu, à mon avis, Pierre Mendès France, viscéralement attaché au régime parlementaire, hostile au régime présidentiel par conséquent, ce qui permit à François Mitterrand de le supplanter aisément lors des futures élections présidentielles).
La SNECMA était une vaste usine moderne, propre, faite pour construire des moteurs d'avion à réaction, avec ses ouvriers professionnels et ses techniciens. Très politisés, malgré le tri "sélectif", les ouvriers avaient vécu là une expérience extraordinaire à la Libération où le PC, avec Charles Tillon, était maître de l'usine; il y avait les anciens membres du parti, les plus nombreux, et les nouveaux, comme moi, mais sans expérience. Si la mort de Staline, en 1953, annonçait celle du "communisme", ce n'est qu'en 1955 (lors de la "réconciliation" avec la Yougoslavie) et surtout, en mars 1956, après la divulgation du rapport "secret" de Kroutchtchev sur les crimes de Staline, que les bouches s'ouvrirent ! En novembre 54 avait éclaté l'insurrection dans les Aurès; Mendès France, qui s'en était bien sorti en Tunisie, patinait en Algérie, d'autant que son ministre de l'Intérieur, François Mitterrand déclarait :" En Algérie, une seule solution : la guerre!". Alerté par les militants, encore nombreux dans les grandes entreprises, que les travailleurs avaient tendance à s'installer dans la "société de consommation", achetaient une voiture, et la télévision (celle-ci connut un véritable boum en 1954 avec la Coupe du Monde de football qui se tenait en Suisse), rêvaient d'acheter une caravane pour partir en vacances "sur la route du soleil", Maurice Thorez (peut-être plus en possession de tous ses moyens ) pondit une thèse extravagante intitulée "La paupérisation absolue de la classe ouvrière" dans laquelle il affirmait que les ouvriers vivaient "plus mal" qu'au 19e siècle ! (à suivre)
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