Avant de me rendre au cimetière, j'en ai profité pour aller faire un tour à La Pomme d'Or, la bâtisse qui avait accueilli le lycée Dupuy-de-Lôme après les bombardements de 1943... Rénové et transformé en logements sociaux, cet ancien hôtel a plutôt bel aspect; dans l'arrière-cour le hangar du fond est devenu un jeu de boules ! J'ai essayé d'imaginer le cadre de vie dans lequel les élèves devaient survivre dans l'attente d'un retour hypothétique à Lorient. Cela m'a semblé sinistre, rugueux, et pauvre. Somme toute, lorsque je suis arrivé en 1945, les baraques "provisoires" avaient quand même l'aspect d'un lycée. Yves Pérès est né à Guémené/sur/Scorff; il a été pion à la Pomme d'Or, puis après des études à Rennes, il est devenu prof à Lorient où il est resté jusqu'à sa retraite !
Au cimetière, un très joli cimetière avec des monuments étonnants, l'un de ses neveux a retracé sa vie, et rappelé que son frère avait eu moins de chance que lui, fusillé par les Allemands, alors qu'il s'était caché dans le grenier, épisode tragique de son existence que j'ignorais. Finalement, je l'ai très peu connu, et je le regrette. Il était, à coup sûr, singulier, différent des autres profs; j'imagine que la poésie (avec la musique) fut son univers, un refuge qui l'aida à traverser une époque sinistrée, murée dans ses conformismes. Quelqu'un a lu des extraits de ses poèmes (il est l'auteur d'une anthologie préfacée par Jean Cocteau), et j'espère qu'Olivier Furon en publiera quelques uns dans son prochain Florilège. Lorient gagnera ainsi un poète dans son historique, aux côtés de l'ingénieur Dupuy-de-Lôme !
Que dire de quelqu'un que l'on ne connaît pas, mais qui vous a influencé par sa manière d'être, à l'insu de son plein gré, si je puis dire et que l'on aurait aimé découvrir un peu plus ? Un jour, je l'ai aperçu gare Montparnasse, sur un quai. Rentrait-il à Lorient ? Je crois qu'il m'a souri, je l'ai vu hésiter. A-t-il voulu me parler ? Mais n'était-ce pas dans un rêve ? En tout cas, il a disparu là, sur le quai de la gare... et je l'ai retrouvé, soixante ans plus tard, sur un lit, décharné, dans cette maison de retraite à Caudan... Ne sommes-nous pas tous, un jour, sur le quai de la gare, attendant le grand départ ? Ou sur un quai (le quai des Indes !) dans l'attente du voilier qui vous emmènera ailleurs ? Je crois qu'Yves Pérès attendait, de tout son être, à tout instant, chaque jour, l'heure du grand départ vers un ailleurs qui n'était pas de ce monde...
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